|
Charles Loos - André Donni : Unknown Mallow (Igloo), 1995
Charles Loos (p) - André Donni (sax) - Philippe Aerts (b) - Rick Hollander (dr)
Chelsea bridge (8:18) - Dig the blues (5:24) - Unknown mallow (10:01) - Holly kazoly (4:15) - The ballad of Chet & Art (7:58) - Theme for Leo (7:37) - Charivari (08:55)
Dans l'oeuvre du pianiste, on a le choix entre les disques en solo, en duo et en trio. Pour ma part, j'aime bien celui-ci, enregistré en quartette, avec Philippe Aerts (b), Rick Hollander (drs) et le jeune saxophoniste et clarinettiste André Donni. Aux ritournelles magnifiquement ciselées de Charles Loos qui se rattachent au courant des musiques classique et folklorique occidentales (Unknown mallow, Holy Kazoly), viennent s'ajouter une composition de Billy Strayhorn (Chelsea Bridge) et quelques titres plus marqués par la tradition du jazz (Dig the blues, Theme for Leo). Il en résulte un album à la couleur musicale floue, quelque part entre entre le rose et le bleu, ou alors mauve intergalactique à l'instar de l'étrange pochette.
[ Unknown Mallow ] |
|
Michel Bisceglia featuring Randy Brecker & Bob Mintzer : About Stories (Prova Records), 1997 (réédition 2008)
Michel Bisceglia (p), Randy Brecker (tp), Bob Mintzer (ts, b cl), Werner Lauscher (b), Mark Léhan (dr)
Presence Of Mammals (8:03) - Song For Ervin (6:11) - Prova 10 (4:48) - The Epic (6:10) - Prova 11 (3:36 ) - No Turn Back! (5:59) - All About Stories (7:02) - Children's Sphere (6:42) - Passion (6:55) - Red Eye (6:36)
Sorti en 1997, ce premier album de Michel Bisceglia avait de quoi surprendre. D'abord, il était édité par un label majeur (BMG/RCA Victor). Ensuite, la pochette faisait mention de la participation de deux jazzmen américains de gros calibre : le trompettiste Randy Brecker et le saxophoniste ténor Bob Mintzer. Encore mieux, Mintzer témoignait à l'intérieur du livret du plaisir ressenti à travailler avec le jeune pianiste dont il trouve le jeu à la fois lyrique et aventureux. Et le fait est qu'à l'écoute du compact, on n'est pas déçu. Méditative, la musique de About Stories est fragile et singulière. Dans Presence Of Mammals, interprété en trio, les notes fluides et suspendues du piano s'étirent comme les traits de couleur d'une peinture expressionniste. On sent l'été, les rayons chauds du soleil, la lumière. Magnifiquement soutenu par la contrebasse languissante de Werner Lauscher et la batterie paresseuse de Marc Léhan, Michel Bisceglia impose un style vaguement onirique au charme inimitable. Dès le second morceau, Song For Ervin, les invités font leur entrée et le résultat est exceptionnel : Brecker et Mintzer se fondent dans l'univers précieux du leader. Mieux, ils le mettent en perspective par un jeu en clair obscur, dosé à la perfection. Même si l'ambiance du disque reste globalement poétique et apaisée, on y trouve aussi une superbe composition, No Turn Back!, qui s'inscrit dans la plus pure tradition hard-bop. Stratégiquement placée au milieu du répertoire, elle est évidemment le véhicule idéal pour les deux invités qui s'emparent littéralement du thème compliqué pour improviser avec un art consommé du phrasé qui n'appartient qu'aux plus grands. Quant à Bisceglia lui-même, il s'épanouit dans un solo bien ordonnancé qui prouve déjà sa grande maîtrise du jazz classique. Après l'écoute de ses oeuvres plus conventionnelles (le par ailleurs très réussi The Night And The Music qui revisitait en 2002 des standards de George Gershwin et de Cole Porter), il faut avouer qu'on avait un peu oublié tout ça. Et voici que cet album, devenu au fil du temps pratiquement introuvable, est réédité sur le nouveau label du pianiste, Prova Records. Le moins qu'on puisse dire est qu'il n'a rien perdu de son envoûtante beauté, prouvant ainsi une fois encore que, quand la musique est bonne, elle est sans âge!
[ Michel Bisceglia Website ] |
|
Michel Herr : Notes Of Life (Igloo IGL 142), 1998
Michel Herr (p), Bert Joris (tp, bugle), Wolfgang Engstfeld (ts), Riccardo Del Fra (b), Dré Pallemaerts (dr)
Le Coeur A L'Endroit (8:05) - Distant Echoes (6:06) - Notes Of Life (in memory of Jacques Pelzer) (8:01) - Strange Ideas (7:54) - Blank Page (5:45) - Tape Or Glue ? (6:19) - Beauty Where It Is (6:53)
Depuis pas mal d'années, Michel Herr prête son talent à des projets d'envergure et le disque Loop De Loop enregistré récemment par le Fabrice Alleman Quartet n'est pas l'un des moindres. Mais depuis son album Intuitions édité en 1989, et si l'on excepte sa collaboration avec Archie Shepp sur la bande originale du film Just Friends, le pianiste n'avait plus rien produit en leader. Le voilà de retour pour ce Notes Of Life à la tête d'un combo nommé European Quintet, un groupe d'amis avec qui Michel Herr a écumé les scènes d'Europe : Riccardo Del Fra, le bassiste italien qui joua jadis avec Chet Baker et Lee Konitz et que l'on peut entendre aussi sur le récent et superbe compact du pianiste Franck Avitabile (In Tradition chez Dreyfus), les Belges Bert Joris à la trompette et Dré Pallemaerts à la batterie et le saxophoniste ténor allemand Wolfgang Engstfeld, compagnon de longue date, avec qui Herr enregistra ses premiers albums dès la fin des années 70. Alors, que nous offre-t-on exactement ? 1) Six compositions personnelles du leader toutes plus réussies les unes que les autres avec une mention spéciale à la très belle ballade qui donne son nom au disque, écrite en hommage à l'un de nos géants du jazz : Jacques Pelzer. 2) Des arrangements et un travail de groupe exemplaires. 3) Des parties de piano fluides ou mieux, limpides. 4) Un lyrisme élégant à certains moments... et du swing à d'autres. Sans oublier, côté technique, un son riche et bien aéré et une présence étonnante de tous les instruments. Mais tout cela, ce n'est finalement que la partie visible de l'iceberg. Parce que ce qui vibre sous la surface est impossible à raconter avec des mots : c'est avec les oreilles qu'il vous faudra en saisir la subtile harmonie. Ensuite, même si le jazz se limite encore pour vous à quelques mélodies récurrentes captées par hasard sur les bandes-son de films noirs, il y a quand même de fortes chances pour que cette musique-là prenne en votre jardin secret comme une greffe salutaire.
[ Michel Herr Website ] |
|
L'âme des poètes : Elle Est A Toi, Cette Chanson (Igloo IGL 154), 2000
Pierre Vaiana (ss, bombarde), Jean-Louis Rassinfosse (b), Fabien Degryse (ac gt, balalaïka)
La première fille (7:09) - Mourir pour des idées (5:49) - Fernande (3:29) - Brave Margot (5:31) - Le vieux Léon (5:15) - Bonhomme (4:36) - Les sabots d'Hélène (4:35) - Les amoureux des bancs publics (3:41) - Le gorille (4:25) - Auprès de mon arbre (3:46) - La femme d'Hector (4:41) - Chanson pour l'Auvergnat (3:53)
Tout d'abord, il y a Fabien Degryse, un guitariste trop méconnu hors de son terroir, concepteur d'une méthode efficace d'improvisation (L'improvisation jazz par les arpèges aux Editions Combre), interprète hors pair capable de mettre le feu dans un festival en reproduisant des solis de légende, compositeur d'une musique souvent originale et inspirée comme celle de son disque Medor Sadness paru en 1992 et malheureusement aujourd'hui introuvable dans les bacs. Ici à la guitare acoustique et à la balalaïka, Degryse est omniprésent, à la fois assez respectueux et sensible pour faire passer l'émotion dont sont encore chargées ces vieilles rengaines et assez inventif pour allumer l'étincelle propice à leur relecture. Le deuxième homme, c'est Jean-Louis Rassinfosse dont la contrebasse, admirablement mixée, remplit tout l'espace avec une sonorité pleine et ronde. Et le trio est complété par le saxophoniste Pierre Vaiana qui joue d'une manière déliée, avec un phrasé décontracté et délicat. Il faut écouter ce Mourir pour des idées, avec son thème exposé à la contrebasse, détourné en blues avec un Fabien Degryse qui se la joue à la Eric Clapton unplugged. Ou ce Fernande esquissé en farandole avec beaucoup d'humour. Ou encore cet extraordinaire Bonhomme en forme de chanson folklorique qu'aurait pu interpréter le défunt Pentangle de Bert Jansch et John Renbourn. Tous les guitariste amateurs qui se sont un jour tordus les doigts sur ces chansons de Brassens apprécieront le travail d'improvisation et de relecture élaboré par ces trois hommes. Si tous les thèmes restent bien reconnaissables, leur traitement est suffisamment original pour retenir l'attention de l'auditeur du premier au dernier sillon, ce qui pouvait sembler plus facile pour certains titres plus prédestinés à un traitement jazz (Les amoureux des bancs publics) que pour d'autres qui, sans leurs merveilleuses paroles, ne sont plus que des scies pour les feux de camp (Chanson pour l'Auvergnat). Tout cela nous fait un disque fort réjouissant propice à réchauffer le cœur et l'âme à la manière d'un feu de joie. Et si Georges avait pu entendre cette musique avant d'être conduit à travers ciel au Père Eternel, c'est sûr qu'il aurait aimé ça.
[ Elle Est A Toi, Cette Chanson ] |
|
Jean-Louis Rassinfosse : Crossworlds (IGLOO IGL 156), 2001
Jean-Louis Rassinfosse (b), Claudio Roditi (tp), Gustavo Bergalli (tp), Klaus Ignatzek (p), Pierre Vaiana (ss, ts), Fabien Degryse (ac gt), Bruno Castellucci (dr)
The fridge Is Open (6:27) - A Dream For Kristen (6:31) - Milongo Mia (9:00) - Dedication (7:30) - Tema Para Mc Coy (6:47) - I Miss You So (8:11) - Waltz For S (5:52) - Que Reste-t-il De Nos Amours (7:16) - Rendez Vous In A Meadow (5:24) - Louve Elue (5:02)
Depuis ses célèbres enregistrements avec Chet Baker dans les années 80, Jean-Louis Rassinfosse a participé à une multitude de projets et est devenu aujourd'hui le contrebassiste le plus connu et l'un des plus appréciés de la scène jazz belge. Etrangement, il n'avait encore jamais enregistré sous son propre nom. C'est chose faite avec ce magnifique Crossworlds qui réunit, autour de la rythmique qu'il compose avec le batteur Bruno Castellucci, les membres de deux groupes dont il fait partie depuis de nombreuses années. D'un côté, le pianiste allemand Klaus Ignatzek et les trompettistes Claudio Roditi et Gustavo Bergalli et de l'autre, le saxophoniste Pierre Vaiana et le guitariste Fabien Degryse du trio L'Ame des Poètes. Quelle fraîcheur dans l'exposé des thèmes ! Quelle fluidité dans les improvisations ! Quelle alchimie dans l'agencement des sons ! Rassinfosse, maillon réunificateur, enveloppe son septet dans une sonorité ronde et chaleureuse qui contribue à la lisibilité de l'ensemble. Et même si en plus d'une interprétation du Que reste-t-il de nos amours de Trenet (les Poètes restent les Poètes même avec deux trompettes), chacun a amené dans ses cartons une de ses compositions, le disque dans son ensemble garde une étonnante homogénéité. Cette musique mainstream est sans âge : elle coule comme un bon cru arrosant un festin auquel l'auditeur ne peut qu'être heureux d'avoir été convié.
[ Crossworlds ] |
|
Olivier Collette : De l'Aube au Crépuscule (Mogno JO12), 2003
Bart Defoort (ts), Bart de Nolf (b), Jan de Haas (dr), Fabien Degryse (ac gt), Olivier Ker Ourio (hmca), Kurt Budé (Bb & bass clarinet), Frank Michiels (perc), Olivier Bodson (bugle), Laurence Collette (fl), Igor Semenoff (1er violon), Cécile Broché (2me violon), Dominica Eyckmans (violon alto), Sigrid Vandenbogaerde (violoncelle), Olivier Collette (piano)
De l'Aube... (0:50) - Peaceful Dance (5:41) - Phénix (6:26) - Arabesque (7:09) - Tango Solitude (8:02) - Dancing Birds (6:12) - I Don't Care (5:52) - The World Needs Us To Be (1:37) - Tender (5:46) - Blue Conversation (5:32) - You Know Why (8:22) - Cath's Song (4:50) - ... Au Crépuscule (2:58)
"Notre univers est fait de cycles : les jours, les saisons, la vie, la mort semblable au Phénix qui renaît perpétuellement de ses cendres. Chaque instant de ces cycles possède sa beauté, sa magie, comme autant d'arabesques d'une immense danse paisible. Nous oublions souvent de les contempler… L'homme a également le pouvoir de transformer cet univers. A nous de le rendre plus tendre, plus beau qu'il ne l'était à l'aube des jours." Ce fragment extrait des notes de pochette illustre fort bien l'ambiance de ce disque à la fois joyeuse et positive, à contre courant de l'air du temps plutôt rythmé par le beat implacable d'hommes en colère. Poétique aussi se révèle cette musique colorée dont le but avoué est avant tout de faire plaisir. Le jeune pianiste y confirme ses qualités de compositeur en créant des mélodies fraîches et aguichantes qui conduisent à des espaces d'improvisation aérés où s'envolent les nombreux solistes invités. Parmi ces derniers, on note Bart Defoort aux saxophones soprano et ténor, comme toujours mordant et passionnant (Phénix), Olivier Bodson au bugle, Kurt Budé à la clarinette basse (remarquable sur Tango Solitude) et Olivier Ker Ourio qui s'inscrit ici dans la filiation d'un Toots Thielemans avec sa manière tout en nuances de faire chanter son harmonica chromatique (Arabesque). Loin de se cantonner dans un seul registre, Collette brasse large et compose des miniatures dans des genres qui vont du tango à la ballade romantique en passant par le hard bop. Le lien entre tout ça, ce sont les arrangements finement ciselés qui privilégient la simplicité, la séduction, une sorte de respiration qui fait que l'écoute de ce disque ressemble à une promenade paisible dans l'ombre d'un sous-bois. Sur quelques titres, le leader s'est adjoint un quatuor à cordes et a demandé un coup de main à Diederik Wissels pour les arrangements mais, à l'instar de son illustre invité, on reste toujours dans la nuance et la sobriété. En tant que pianiste, Olivier Collette révèle un toucher délicat même s'il prend soin de ne pas trop s'écarter de ses mélodies laissant à ses solistes le soin d'en explorer plus avant les arcanes. Quant à la rythmique composée de Bart De Nolf à la basse et de Jan de Haas à la batterie, elle s'intègre avec aisance dans le projet en lui apportant cette pulsation tranquille et sautillante qui n'est pas pour rien dans la dynamique de l'ensemble. Ainsi, en un peu moins de 70 minutes, l'auditeur passe de l'aube au crépuscule, explorant des paysages musicaux harmonisés avec une tendresse et une joliesse que tempère avec bonheur une belle vivacité, avant que le disque ne se referme comme il a commencé sur quelques accords de guitare acoustique habilement égrenés par Fabien Degryse. Et l'auditeur se sent heureux comme s'il venait de vivre tout un jour paisible à la campagne au milieu d'une nature originelle enfin retrouvée. Objectif atteint. Impact durable. Pari gagné et disque recommandé !
[ Olivier Collette Website ] |
|
Alexandre Furnelle Quartet : Le Chant des Sirènes (Mogno J013), 2003
Alexandre Furnelle (b), Daniel Stokart (as), Peter Hertmans (gt), Jan De Haas (dr), Barbara Wiernik (chant)
Le chant des sirènes (8:02) - Le domaine du rêve (5:23) - Balimotou (4:55) - Ice scream (4:49) - Sale affaire ! (7:21) - Coumaya (4:37) - La luna (2:05) - Valse (6:04) - Saut dans le temps (5:36) - Saut dans le temps (6:52)
Alexandre Furnelle a réuni autour de sa contrebasse un quartet efficace pour interpréter avec élégance ses compositions variées et fort chantantes. Certaines sont inspirées par le Congo : elles balancent alors naturellement et font la part belle aux rythmes ensemencés avec juste ce qu'il faut de percussions exotiques et un Jan de Haas qui, sur sa batterie, joue la souplesse avant tout. Parfois, elles font appel au chant sobre mais très coloré de Barbara Wiernik (Coumaya) qui s'intègre très bien dans les souvenir africains du compositeur. D'autres sont simplement de belles ballades introduites pas des thèmes accrocheurs comme ce Sale Affaire dont la ligne mélodique, jouée au soprano par Daniel Stokart, rappelle dans toute sa pureté le Concerto d'Aranjuez. Ailleurs encore, c'est Peter Hertmans qui fait surgir quelques fulgurances avec ce son électrique particulier qu'on a plutôt coutume à entendre dans le jazz fusion. La musique se fait alors plus élastique avec une tendance groove comme ce Jardins Suspendus qui clôt le disque toutes voiles dehors et fait regretter que le voyage soit déjà fini. La contrebasse du leader bien mixée dégage un son rond qui lie le tout avec un bel allant en livrant au passage quelques mesures improvisées (y compris à l'archet sur le Chant des Sirènes) et beaucoup de moments d'interaction rythmique inspirés. A la fois lyrique, varié et plein de relief, ce disque, par son petit côté touche à tout, ravira les amateurs d'un jazz séduisant et ouvert.
[ Le Chant des Sirènes ] |
|
Ivan Paduart Trio : Blue Landscapes (Videoarts Music / SARAH VACD 1006), 2004
Ivan Paduart (p), Philippe Aerts (b), Dré Pallemaerts (dr)
Igor (4:32) - Blue Landscapes (4:06) - Madeira (4:03) - Broken Hearts (7:13) - Perpetual Movements (4:53) - Sweet Georgia Fame (6:18) - I Had A Ball (3:07) - Falling Grace (4:12) - My Song (7:54) - Why Not (6:17)
Sauf erreur, ce cédé est le treizième du pianiste belge Ivan Paduart et, si l'on excepte les productions en concert, le deuxième seulement enregistré en trio. Mais contrairement à Clair Obscur dédié entièrement à la musique de Fred Hersch, Paduart signe pour la première fois avec Blue Landscapes un disque studio en trio consacré à ses propres compositions. Bien sûr, il y a aussi quelques reprises : Sweet Georgia Fame de Blossom Dearie qui n'a pas souvent été joué sinon par Tete Montoliu et que Phil Abraham avait aussi interprété récemment sur son album Surprises ; Falling Grace de Steve Swallow qu'on pourra comparer avec la version de Bill Evans sur Intuition (1974) ; et le thème habité de My Song qui fit le succès du quartet de Keith Jarrett avec Jan Garbarek en 1977. Le reste est dû à la plume de Paduart et on est surpris tout de suite par la force intrinsèque de ces nouvelles mélodies et de la vie qui palpite en elles. Il semble qu'elles aient été inspirées au pianiste par un épisode personnel suffisamment difficile à vivre pour affecter son art. Toujours est-il que chacun de ces titres dégage une puissante nostalgie et dévoile une profondeur qui va au-delà de la forme et de la beauté envoûtante de ses précédentes productions. Tout est ici joué à une échelle intimiste et on a l'impression que chaque thème est interprété comme si Paduart voulait raconter dans le moindre détail une histoire, la sienne probablement. Igor par exemple, dédié à son fils, est un véritable enchantement : légèreté, mélancolie, fluidité du toucher et touches caressées, et une épaisseur en plus qui en fait quelque chose de spécial et d'inédit. Il est ici magnifiquement accompagné par le contrebassiste Philippe Aerts et le batteur Dré Pallemaerts qui, au lieu de se mettre en retrait de la musique, participent au jeu avec souplesse et un profond respect des émotions du leader. Ce nouvel album embué de tendresse s'écoute sans fin à l'ombre ou dans la lumière tamisée avec le cœur et l'âme en éveil. Et l'on se dit qu'Ivan Paduart, en donnant à imaginer des mondes oniriques d'une telle puissance évocatrice, est bien l'un des rares véritables poètes de la touche d'ivoire. Sublime !
[ Ivan Paduart Website ] |
|
Jazzisfaction : Open Questions (WERF 053), 2006
Peer Baierlein (tp) - Ewout Pierreux (p) - David Petrocca (b) - Yves Peeters (dr)
Abschied (6:08) - Alba Nuova (6:38) - Nasheet never waits (4:44) - Hope (5:07) - All It Takes (Is A Good Sniper) (5:29) - Simple Truth (3:27) - Godzilla In Love (5:36) - Open Questions (4:03) - Blow (6:25) - Angst (3:50)
D'origine allemande, le trompettiste Peer Baierlein a étudié avec Bert Joris et lui a emprunté un son velouté à la Tom Harrell. Membre éphémère du Maria Schneider Workshop Orchestra lors de sa tournée au jazz de Middelheim de 2001, il a aussi joué avec le Brussels Jazz Orchestra. Son instrument a un son voilé et ses solos parcimonieux sont d'une fluidité apaisante. Le reste du quartet colle à cette musique émouvante. La rythmique composée du contrebassiste Davide Petrocca et du batteur Yves Peeters accompagne avec un art consommé de la nuance tandis que le pianiste Ewout Pierreux distille ses notes avec aisance dans un registre à mi-chemin entre un jazz Bop issu des années 60 et une esthétique nordique à la Bobo Stenson. Le répertoire, composé de onze titres originaux, fluctue aussi entre ces deux pôles avec des thèmes calmes d'une grande sensibilité (Simple Truth, Abschied, Hope, Open Questions) et d'autres plus enlevés (Nasheet Never Waits, Godzilla In Love et surtout Angst pourvu d'un groove jubilatoire). Certes, le quartet ne cherche pas à innover mais son Jazz qui recèle un indéniable pouvoir de séduction ne verse jamais non plus dans la nostalgie. Au contraire, sa fraîcheur n'est jamais prise en défaut et sa sincériré lui procure une identité propre. Si vous aimez le Bop naturellement swinguant d'un Kenny Dorham autant que le lyrisme mélancolique d'un Chet Baker, ces plages, qui composent un ensemble d'une grande cohérence, vous feront passer un merveilleux moment. D'autant plus que la balance entre les instruments est remarquable et que l'enregistrement a la qualité sonore qu'il faut pour apprécier une musique aussi délicate. Open Questions, deuxième album de Jazzisfaction après Issues (2002), est une belle réussite de plus dans le catalogue du label brugeois De Werf.
[ Open Questions (CD & MP3) ] [ Cover Art & infos ] |
|
Greg Houben Trio : How Deep Is The Ocean (Igloo IGL 211), 2009
Greg Houben (tp), Quentin Liègeois (gt), Sam Gerstmans (b)
How Deep Is The Ocean? (9:23) - Daybreak (5:40) - From The Root To The Leave (6:26) - With A Song In My Heart (7:49) - Cup-Up (5:21) - I Don't Make Set Plans (8:54) - For Minors Only (5:03) - Close To Kenny (5:28)
On reconnaît tout de suite le fameux thème d'Irving Berlin, How Deep Is The Ocean, dont l'interprétation d'une grande douceur renvoie forcément à Chet Baker qui l'a également joué tardivement dans une formule similaire avec Philip Catherine à la guitare et Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse (Chet's Choice, 1985). Houben aime Baker et va même jusqu'à chanter comme lui d'une voix suave et retenue sur Daybreak, un autre standard composé par Hoagy Charmichel et, jadis, également usé par Chet. Manifestement fasciné par le jazz des années 50 et 60, ce trio en donne une vision conforme, sans ornementation moderne inappropriée qui en déparerait la subtile beauté. Mais l'interprétation est d'une sensibilité inouïe : le jeu délié de Quentin Liégeois à la guitare est magnifique surtout quand il entrecroise ses notes avec la trompette veloutée du leader et qu'il le suit au plus près dans ses divagations. Sam Gerstmans fait résonner sa contrebasse de belle manière tandis que Greg Houben lui-même fait preuve à la trompette d'une grande finesse et joue avec une fluidité méditative, une aisance déconcertante et un swing à fleur de peau. Sur les huit titres du répertoire, six sont des standards, deux sont écrits par Houben et un par Dujardin mais l'homogénéité du disque est respectée tant les nouvelles chansons s'intègrent à merveille dans l'ensemble. La production et le mixage sont impeccables, plaçant l'auditeur au plus près du trio et l'enveloppant dans une sonorité chaude et chatoyante. On se croirait à un concert privé et on se mettrait presque à applaudir quand les musiciens s'autorisent quelques audaces sur les harmonies balisées. Ce disque feutré est d'une totale beauté et on en profite le mieux quand on l'écoute dans le silence en prenant son temps. C'est aussi une fantastique carte de visite pour cette nouvelle génération de jazzmen belges dont on sait maintenant qu'on peut en attendre beaucoup.
[ Commander chez Igloo ] [ How Deep Is the Ocean (MP3 sur Amazon)
] |
|
Stéphane Mercier 4tet : Walking The Soul Map (Mogno), 2009
Stéphane Mercier (sax & flûte), Charles Loos (p), Bas Cooijmans (b), Marek Patrman (dr, derbouka)
Team Spirit (5:33) - Back To The Land (4:09) - Virginie Fatima (6:33) - Erkenne Mich, Mein Hüter (1:06) - Ma Elle (6:18) - Straighten Up and Fly Right (4:34) - La Chapelle (8:31) - Fragile (5:30) - Matis (4:19) - A Ship Without A Sail (to Ella) (3:46) - La Bohème (4:13) - Djorolen (5:04) - Bare Feet (5:13)
Le saxophoniste et flûtiste Stéphane Mercier est sans doute moins connu en Belgique que d'autres, d'abord parce que sa discographie est encore courte (deux disques sous son seul nom qui remontent au début des années 2000) mais aussi parce qu'il a séjourné une dizaine d'années aux Etats-Unis où il s'est produit dans des endroits mythiques comme le Birdland et the Knitting Factory. De retour en Belgique, c'est à la tête d'un quartette qu'il est entré en studio en janvier 2008 pour enregistrer ce Walking The Soul Map édité par Mogno Records. Ces 64 minutes de musique offrent un jazz mélodique et chantant où l'on n'est pas étonné de retrouver de multiples références à des chanteurs et chanteuses comme Charles Aznavour, Ella Fitzgerald, Nat King Cole ou Sting, sauf qu'ici, la voix est remplacée par un saxophone chaleureux et lyrique dans un style cool et parfois atmosphérique (au sens où Coltrane pouvait l'être). Le répertoire éclectique oscille librement entre différents styles et origines où l'on retrouve aussi bien un blues qui vous prend aux tripes (Back To The Land, une reprise de Lester Young), qu'une chanson française (La Bohème), une mélopée africaine (Djorolen emprunté à la Malienne Oumou Sangaré) et même une mélodie extraite de La Passion Selon Saint Matthieu de Bach (Erkenne Mich, Mein Hüter / Reconnais-moi, Mon Maître). Tout cela est interprété avec beaucoup de cœur par un quartet en parfait équilibre où brille particulièrement le pianiste Charles Loos, toujours à l'aise dans cette forme de jazz mélodique et intimiste nourri d'influences diverses. La rythmique composée de Bas Cooijmans (contrebasse) et de Marek Patrman (batterie) ajoute beaucoup de saveur à la musique (écoutez-là rebondir sur le superbe Straighten Up and Fly Right) tout en témoignant d'un grand sens de la collectivité. Résultat : rien que du bonheur dans cet album aussi séduisant qu'accessible.
[ Walking The Soul Map (MP3) ] |
|
Peer Baierlein Quartet : Cycles (WERF 079), 2009
Peer Baierlein (tp) - Ewout Pierreux (p) - Davide Petrocca (b) - Yves Peeters (dr)
Song For Mpho (9:12) - Four (11:35) - One (8:08) - I Know You Know (8:25) - Hymn (6:36) - Slow Beauty (6:34)
Le Peer Baierlein Quartet, c'est en fait la nouvelle dénomination de Jazzisfaction, un excellent combo, fondé en 1997 par le trompettiste d'origine allemande Peer Baierlein, à qui l'on doit deux albums réussis : Issues en 2002 et Open Questions en 2005. En dépit de ce changement de nom, les quatre musiciens, qui s'étaient rencontrés jadis au Conservatoire de Lemmens, sont les mêmes tandis que leur style de musique est resté fidèle à la fois à la formule Blue Note des années 60 et à une esthétique cool où perce l'influence de grands maîtres de la trompette veloutée comme Tomasz Stanko, Bert Joris ou Tom Harrell. Ainsi, entre ces deux pôles, évolue un répertoire fluide d'une inaltérable constance. Introduit par le piano nostalgique d'Ewout Pierreux, Song For Mpho démarre le set en douceur. Baierlein y improvise ensuite avec élégance, jouant avec les sonorités de sa trompette, ce qui donne des nuances variées à son jeu déjà très émotionnel. Dans un autre registre, One distille un groove feutré soutenu par Ewout Pierreux au piano électrique tandis que Baierlein swingue avec aisance et subtilité sur la rythmique efficace composée de Davide Petrocca à la basse et d'Yves Peeters à la batterie. Parfaitement accessibles, les six titres, composés pour un tiers par le trompettiste et pour le reste par le pianiste, s'enchaînent avec bonheur au fil d'une navigation paisible où les écueils et les méandres sont intelligemment négociés. Le voyage se termine sur un thème alangui au titre évocateur (Slow Beauty) qui emmène l'auditeur dans un paysage sonore poétique rempli d'ombres et de lumières dont le label ECM s'est fait une spécialité. Enregistré en concert en mai 2009 au Jazz Station et au Rataplan devant un public d'amateurs attentifs, cet album superbement produit s'écoute avec un réel plaisir. Aucun virtuosité gratuite ici, ni expérimentation, ni surprise déplacée. Il n'y a que du jazz, ciselé dans le silence, qui s'insinue avec beaucoup de charme dans le coeur d'un public conquis par la fraîcheur et la simplicité de cette musique.
[ Commander chez De Werf ] [ Peer Baierlein Website ] [ Peer Baierlein sur MySpace ] |
|
Yves Peeters Group : Sound Tracks (WERF 082), 2010
Nicolas Kummert (ts) - Frederik Leroux (gt) - Nicolas Thys (el b) - Yves Peeters (dr) - Geert Hellings (lapsteel gt)
New Mexico (8:02) - Moenieworrienie (6:53) - Billy Pilgrim (6:47) - Lifeline (5:33) - Petit Simon Millionaire (7:50) - Slow Beauty (3:51) - Announcement (0:57) - Ritual (4:48) - After Life (4:24) - New Mexico epilogue (5:56)
Sous cette superbe pochette dont la route et le ciel bleu invitent au voyage, se cache une musique énigmatique, un peu country, un peu bluesy, qui colle à merveille aux paysages désolés de contrées perdues, qu'elles soient du Texas, du Sahel ou d'ailleurs. Dans ces longues errances modales, les musiciens se promènent sans but précis, à la recherche d'une ombre ou d'une oasis. On pense parfois au Ry Cooder de Paris Texas quand Frederik Leroux fait vibrer les cordes de sa guitare électrique, évoquant les frémissements de la chaleur au dessus des pierres (Billy Pilgrim). Sur la moitié des titres, Geert Hellings ajoute une dimension onirique grâce à sa guitare « lap steel » (un instrument qu'on pose à plat sur les cuisses et dont on joue en faisant glisser une barre en acier sur un manche sans frettes). Ecoutez New Mexico qui ouvre le répertoire et son épilogue qui le referme : ça glisse tout seul comme une limousine sur une route déserte avec le vent qui souffle par les fenêtres. Au saxophone ténor, Nicolas Kummert (Alchimie) s'insinue avec volupté dans le décor. Sa sonorité ronde est magnifique et son style épuré parachève l'impression d'un exotisme imaginaire. Sur Petit Simon Millionaire, des voix se superposent aux instruments et dessinent une mélodie répétitive sur laquelle s'envole le ténor. Quant à Nicolas Thys, il délivre des lignes de basse électrique qui sont le fil rouge de ces fascinantes dérives et se fend même sur Lifeline d'un beau solo fusionnel dont on regrette franchement qu'il ne soit pas plus long. Décidément, le collectif Jazzisfaction recèle en son sein d'étonnants jeunes musiciens pleins d'idées : après le très bel album du trompettiste Peer Baierlein paru récemment chez Werf, voici celui du batteur Yves Peeters dont le projet inclassable, dans sa ligne de fuite vers l'infini, exhale comme un parfum d'aventure.
[ Commander chez De Werf ] |
|
Greg Houben Quartet Meets Pierrick Pédron (Plus Loin Music), 2010
Greg Houben (tp) - Pierrick Pédron (as) - Pascal Mohy (p) - Sal La Rocca (contrebasse) - Rick Hollander (dr)
A Mail To JP (7:33) - A Light Wind Blew Through Your Hair (6:42) - Construçao (5:37) - Mademoiselle Croissant (4:48) - Funnel Cloud (4:29) - Ocean Floor (6:23) - Eyjafjöll (7:01)
Sur son disque précédent, How Deep Is The Ocean (Igloo, 2009), Greg Houben jouait et chantait comme Chet Baker dans un style tellement maîtrisé qu'il a fait tout de suite l'unanimité. Sur cet album, le trompettiste affiche une personnalité plus affirmée que l'on ne peut plus désormais rattacher à un nom en particulier. Malgré tout, si l'on excepte le boppisant Funnel Cloud, les morceaux qui sont tous en tempo lent ou moyen rappellent quand même les ambiances des albums de Miles Davis dans les années 50, surtout quand Houben joue avec une sourdine comme sur Mademoiselle Croissant. Et puis, il s'est associé avec un sacré souffleur nommé Pierrick Pédron. Le saxophoniste breton était de passage à Liège en 2009 pour le grand festival de jazz et c'est dans la cité ardente « after hours » qu'Houben et lui ont fait connaissance, ce qui les a conduit naturellement à enregistrer ensemble cet album. Si le trompettiste belge a oublié Chet pour souffler dans la sphère davisienne, Pédron lui joue avec un allant et une flamme qui évoquent tout de suite le grand Cannonball Adderley. L'alchimie est donc parfaite entre les deux hommes dont l'interaction rappellera la magie d'un célèbre quintet de 1958. Le contrebassiste vétéran Sal La Rocca, efficace mais discret, est ici associé au batteur américaon Rick Hollander dont la réputation n'est plus à faire et, cerise sur le gâteau, le piano est aux mains du jeune et talentueux Pascal Mohy qui, en plus de délivrer quelques beaux chorus, participe aussi à l'écriture des thèmes. Certes, rien de neuf n'émerge de cette association franco-belge mais franchement, qui s'en soucie quand la musique est tellement bonne qu'elle fait vibrer. Notons en passant la belle pochette monochrome à l'ancienne qui aurait pu porter le sigle du label Prestige : on y voit les deux solistes se serrer la main devant des voies de chemin de fer qui se croisent comme des destins.
[ Steve Houben Meets Pierrick Pedron ] |
|