Bruno Castellucci : Bim Bim (Koala / Quetzal), 1989 |
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Riccardo Del Fra (contrebasse : 3,7) ; Michel Hatzigeorgiou (basse : 1,2,3,5,6,8) ;Johannes Faber (blugle, trompette : 5,8) ; Peter Tiehuis (guitare : 1,2,3,5,6,8) ; Toots Thielemans (harmonica: 3,7) ; Michel Herr (claviers, piano : 1,2,3,6,8) ; Bart Fermie & Chris Joris (percussions : 8) ; Jasper Van't Hof (piano : 4) ; Joerg Reiter (piano, claviers : 5) ; Augusto & Liliane (chant : 8)
1. Third Chance (5:08) – 2. No Maybe (3:50) – 3. Naima (6:11) – 4. Instant (8:05) – 5. Fold Your Hands (7:07) – 6. Thinking of You (6:56) – 7. How Deep is the Ocean? (5:38) – 8. Three Continents (8 :18)
Enregistré en juillet 1989 au Jet Studio à Bruxelles, le premier disque de Bruno Castelluccci est paru en LP et en CD la même année en Allemagne sur Koala Records / Quetzal avant de sortir en Belgique l'année suivante. Dans une interview pour le magazine italien Musica Jazz, le batteur a déclaré « qu'il ne se sentait pas l'âme d'un leader » mais qu'un jour, après qu'un producteur allemand lui avait suggéré d'enregistrer un disque dont il assurerait la production et la diffusion, il s'était lancé dans la conception d'un album conçu « comme un voyage musical, de l'Afrique à l'Amérique, au Brésil ». De plus en plus sollicité dans les années 70 et 80 et devenu un pilier des studios non seulement en Belgique aussi dans les pays environnants, Bruno avait alors un carnet d'adresses tellement rempli qu'il n'a eu qu'à choisir les musiciens avec qui il souhaitait travailler. Et quels musiciens !!! Ceux qui ont répondu à l'appel sont quasiment tous des grands noms du jazz européen : Toots Thielemans (harmonica), Michel Herr (piano), Michel Hatzigeorgiou (basse), les Néerlandais Jasper Van t'Hof (piano) et Peter Tiehuis (guitare), le contrebassiste italien Riccardo Del Fra, les Allemands Johannes Faber (trompette) et Joerg Reiter (piano), plus les percussionnistes Bart Fermie et Chris Joris. Quant au répertoire, il comprend trois compositions de Michel Herr, deux titres écrit par Bruno, l'un en collaboration avec Jasper Van t'Hof et l'autre avec Michel Herr, une composition du trompettiste allemand Johannes Faber, et deux standards (Naima de Coltrane et How Deep Is the Ocean d'Irving Berlin).
L'ambiance détendue et les climats contrastés des différentes plages suscitent non seulement l'intérêt mais le maintiennent tout au long des 51 minutes que dure l'album. En le réécoutant aujourd'hui, on peut écrire que cet enregistrement, impeccable au niveau de sa captation, n'a pas pris une ride. Le choix des musiciens en fonction des morceaux est judicieux : la contrebasse acoustique de Riccardo Del Fra enchante un How Deep Is the Ocean sublimé par une improvisation d'harmonica qui fait éclore, comme d'habitude chez Toots, une intense émotion. Ailleurs, porté par la basse volubile de Michel Hatzigeorgiou, No Maybe a un petit côté fusion douce avec son piano électrique. La version moderne de Naima qui est proposée est nettement plus enlevée que l'original de Coltrane (sur Giant Steps) mais les phrases inattendues de l'harmonica sur une pulsation d'un incroyable dynamisme le rendent tout aussi poétique. Peuplé de cris, de percussions diverses et avec l'aide de deux vocalistes, Three Continents se pare de couleurs africaines et latines mais vaut également par le splendide solo du trompettiste Johannes Faber. Quant à Instant, on le savourera pour ce qu'il est : une extraordinaire confrontation entre le batteur et le pianiste Jasper Van't Hof dont la tension conduit invariablement à l'excitation.
Maturité, cohérence, ouverture et séduction immédiate plus une sacrée collection de talents font de ce disque un vrai classique susceptible, quelques 25 années plus tard, d'encore provoquer une explosion de sensations.
[ Bim Bim sur Amazon ] [ A écouter : Bim Bim (album complet) ] |
Félix Simtaine, Ruocco, Rassinfosse Trio : A Ghost of a Chance (AZ Productions), 1999 (juin 2007) |
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John Ruocco (sax, clarinette), Félix Simtaine (batterie), Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse)
1. I'm Getting Sentimental Over You - 2. What I'll Do - 3. A Ghost of a Chance - 4. When You Wish Upon a Star - 5. Sweet Lorraine - 6. Cherokee - 7. Stardust - 8. Blues in the Night - 9. Caravan
Bon d'accord, il s'agit d'un trio dont chaque membre est coleader mais cet album, enregistré les 2 et 3 février 1999 au Studio 44, permet de bien entendre le batteur Félix Simtaine à son meilleur sur neuf reprises de standards interprétées sans piano : I'm Getting Sentimental Over You, Stardust, Cherokee, Sweet Lorraine, Caravan ... Fondé en 1982, cette formation qui s'appelait alors tout simplement The Trio s'imposa dans les années 80 comme un des groupes parmi les plus novateurs de Belgique, participant à de nombreux concerts et festivals. Pourtant The Trio existera longtemps sans jamais sortir d'album et ce n'est que 25 ans plus tard que A Ghost of a Chance paraîtra finalement en compact sur le petit label AZ Productions basé à Gembloux. Le disque met en exergue la manière dont les trois complices profitent de la liberté qu'autorise l'absence d'instrument harmonique. On appréciera en particulier la technique impeccable du saxophoniste, le son énorme de la contrebasse toujours dansante et bien mixée en avant de Jean-Louis Rassinfosse ainsi que la frappe précise, enthousiaste et très efficace de celui qui fut jadis le batteur attitré de Rhoda Scott et celui de l'inoubliable Act Big Band.
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Dré Pallemaerts : Pan Harmonie (B-Flat), 2007
Dré Pallemaerts (batterie); Mark Turner (sax ténor); Stéphane Belmondo (trompette, bugle); Bill Carrothers (piano); Jozef Dumoulin (Fender Rhodes)
1. Tourne en Rond / Part I (5:39) - 2.
Where Was I (9:54) - 3. Bye Ya (5:46) - 4. Tourne en Rond / Part 2 (4:33) - 5. Karma (6:50) - 6. All The Things You Are (4:33) - 7. MJ Rules (6:56)
8. Mode (6:10) - 9. Afternoon (7:48) - 10. I Had a King (6:05) - 11. For Anne (2:46) - 12. Orgue de Barbare (6:27)
Dré Pallemaerts, ça fait des années qu’on est subjugué par sa maîtrise du tempo et des rythmes qui constituent les piliers d’une multitude de disques comptant parmi les meilleurs de ce qu’à produit le jazz belge au cours de ces dernières années. Citons en vrac Oscar de Philip Catherine (1988), Another Day, Another Dollar de Kurt Van Herck (1996), Notes Of Life de Michel Herr (1998), Passages de Kris Defoort (1999), Bert Joris Quartet Live (2002), Blue Landscapes d’Ivan Paduart (2004) et plus récemment Magone de Bert Joris (2007). Edité sur le label B-Flat des Frères Belmondo, connus pour ne pas avoir leurs oreilles en poche, Pan Harmonie dévoile maintenant en plus un véritable talent de compositeur. Réunissant autour de lui un casting aussi international (Belgique, France, USA) qu’original (deux pianistes mais pas de basse), Pallemaerts a su conquérir le cœur d’un public beaucoup plus large que d’habitude. C’est qu’en s’associant avec des stars comme Stéphane Belmondo (trompette), Bill Carrothers (piano) et Mark Turner (sax tenor) plus Jozef Dumoulin au Fender Rhodes, il s’est donné les moyens de faire connaître enfin la musique qu’il a dans la tête. Pari osé mais totalement réussi. Plus encore que les reprises (Bye Ya de Thelonious Monk, All The Things You Are de Hammerstein / Kern et I Had A King de Joni Mitchell devenue ces derniers temps une véritable égérie pour les jazzmen), ce sont ses thèmes à lui qui hantent l’écoute de cet album. Bien que basée en partie sur des réflexions complexes qu’on laissera volontiers aux musicologues (Pallemaerts est aussi un enseignant fort apprécié qui a succédé à Daniel Humair au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris), la musique inédite de ce quintet haut de gamme est tout simplement envoûtante et même parfois énigmatique. Pallemaerts était jusqu’ici un excellent accompagnateur prisé des leaders pour son jeu souple et tout en finesse, il vient de gagner sa place au panthéon, pas si encombré que ça, des grands batteurs/compositeurs.
[ Pan Harmonie (CD) ] |
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Yves Peeters Group : Sound Tracks (WERF 082), 2010
Nicolas Kummert (ts); Frederik Leroux (gt); Nicolas Thys (el b); Yves Peeters (dr); Geert Hellings (lapsteel gt)
New Mexico (8:02) - Moenieworrienie (6:53) - Billy Pilgrim (6:47) - Lifeline (5:33) - Petit Simon Millionaire (7:50) - Slow Beauty (3:51) - Announcement (0:57) - Ritual (4:48) - After Life (4:24) - New Mexico epilogue (5:56)
Sous cette superbe pochette dont la route et le ciel bleu invitent au voyage, se cache une musique énigmatique, un peu country, un peu bluesy, qui colle à merveille aux paysages désolés de contrées perdues, qu'elles soient du Texas, du Sahel ou d'ailleurs. Dans ces longues errances modales, les musiciens se promènent sans but précis, à la recherche d'une ombre ou d'une oasis. On pense parfois au Ry Cooder de Paris Texas quand Frederik Leroux fait vibrer les cordes de sa guitare électrique, évoquant les frémissements de la chaleur au dessus des pierres (Billy Pilgrim). Sur la moitié des titres, Geert Hellings ajoute une dimension onirique grâce à sa guitare « lap steel » (un instrument qu'on pose à plat sur les cuisses et dont on joue en faisant glisser une barre en acier sur un manche sans frettes). Ecoutez New Mexico qui ouvre le répertoire et son épilogue qui le referme : ça glisse tout seul comme une limousine sur une route déserte avec le vent qui souffle par les fenêtres. Au saxophone ténor, Nicolas Kummert (Alchimie) s'insinue avec volupté dans le décor. Sa sonorité ronde est magnifique et son style épuré parachève l'impression d'un exotisme imaginaire. Sur Petit Simon Millionaire, des voix se superposent aux instruments et dessinent une mélodie répétitive sur laquelle s'envole le ténor. Quant à Nicolas Thys, il délivre des lignes de basse électrique qui sont le fil rouge de ces fascinantes dérives et se fend même sur Lifeline d'un beau solo fusionnel dont on regrette franchement qu'il ne soit pas plus long. Décidément, le collectif Jazzisfaction recèle en son sein d'étonnants jeunes musiciens pleins d'idées : après le très bel album du trompettiste Peer Baierlein paru récemment chez Werf, voici celui du batteur Yves Peeters dont le projet inclassable, dans sa ligne de fuite vers l'infini, exhale comme un parfum d'aventure.
[ Sound Tracks ] |
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Mimi Verderame : Wind (Prova Records), 2011
Nicola Andrioli (piano, Fender Rhodes), Kurt Van Herck (saxophone ténor), Carlo Nardozza (trompette), Philippe Aerts (contrebasse), Mimi Verderame (batterie, guitare)
1. Andalucia (7:41) - 2. Reconciliation (7:33) - 3. Cellular (vibes) (7:48) - 4. Wind (8:43) - 5. Danza Dei Veli (8:46) - 6. Nice Cap (7:08) - 7. Blues #4 (3:53)
Moins connu pour ses disques édités sous son nom, le batteur Mimi Verderame est par contre devenu une référence incontournable du jazz belge depuis la fin des années 80. Pendant plus de deux décennies, il a en effet contribué inlassablement au succès du genre en participant à l’enregistrement d’albums aussi réussis que Nymphea (Nathalie Loriers, 1990), +Strings (Steve Houben, 1995), Joy And Mystery (Olivier Collette, 2001), Still (Ivan Paduart, 2002), Nature Boy (Ronny Verbiest, 2007) et Bad Influence (Gino Lattuca, 2010). Sur ce nouveau chapitre, Verderame, qui en plus de la batterie joue aussi de la guitare sur quelques morceaux, s’est associé à des musiciens d’origine diverse qu’il connaît bien et qui impriment leur marque à une musique qui, globalement, ne s’écarte pas trop d’un bop mainstream. Le jeune pianiste italien Nicola Andrioli s’avère la véritable attraction de ce quintet : les trois compositions (sur sept) qu’il a écrites ont définitivement quelque chose de spécial (surtout le thème dynamique d’Andalucia) et ses improvisations aussi bien au piano acoustique qu’au Fender Rhodes, retiennent l’attention par un jeu personnel à la fois technique et lyrique. A la trompette, le non moins jeune Carlo Nardozza confirme tout le bien qu’on pense de lui en développant des solos qui démontrent sa maîtrise de la tradition hard bop. Quand au saxophoniste ténor Kurt Van Herck, complice de Verderame depuis de nombreuses années, il apporte son expérience à ce style de jazz qu’il connait par cœur. Et il ne faudrait pas oublier le vétéran Philippe Aerts, contrebassiste exceptionnel qui complète avec assurance une section rythmique au drive riche et précis. Fruit d’une exécution impeccable et d’un travail bien fait, Wind parvient aisément à maintenir l’attention en dépit d’un certain académisme assumé et sans doute imposé par le leader.
[ Wind (CD) ] |
Antoine Pierre : Urbex (Igloo Records), Janvier 2016 |
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Antoine Pierre (batterie, compositeur); Bert Cools (guitare); Bram De Looze (piano); Toine Thys (saxophone ténor, clarinette basse, saxophone soprano); Steven Delannoye (saxophone tenor, clarinette basse); Jean-Paul Estiévenart (trompette); Fréderic Malempré (percussions); Félix Zurstrassen (basse électrique)
1) Coffin For A Sequoia (To Basquiat) (6:53) - 2) Litany For An Orange Tree (7:04) - 3) Who Planted This Tree? (4:48) - 4) Les Douze Marionnettes (6:54) - 5) Urbex (12:10) - 6) Metropolitan Adventure (5:41) - 7) Walking On A Vibrant Soil (5:25) - 8) Wandering #1 (0:39) - 9) Metropolitan Adventure (reprise) (2:06) - 10) Moon's Melancholia (2:57) - 11) Ode To My Moon (13:30)
Urbex a beau être le premier album d'Antoine Pierre, le batteur liégeois est déjà bien connu des amateurs pour avoir intégré de fameux équipages, auteurs de quelques disques notoires récemment parus sur lesquels on a pu apprécier sa frappe dynamique et parfois fougueuse: Côté Jardin de Philip Catherine (Challenge) en 2012, Wanted de Jean-Paul Estiévenart (WERF) en 2013, New Feel du LG Jazz Collective (Igloo) en 2014, et Grizzly du Toine Thys Trio (Igloo) en 2015. Mais Urbex donne cette fois l'occasion d'appréhender aussi une autre facette de son art: la composition. Car Mr. Antoine s'est imposé l'exercice d'écrire l'intégralité du répertoire qui, loin de n'être une enfilade de morceaux de bravoure pour batteurs extravertis, offre une musique savante aux arrangements précis et remplie d'imprévisibles chicanes (la dérive free de Walking On A Vibrant Soil est par exemple complètement inattendue). L'octet réuni autour de leader n'est pas non plus le combo de base en ce qu'il offre par la diversité des instruments utilisés des sonorités plurielles et imaginatives d'une belle densité harmonique. L'espace réservé aux solistes est suffisamment large pour que chacun puisse s'exprimer et les surprises dans ce domaine sont nombreuses: citons pour exemple le solo de guitare orientalisant de Bert Cools sur Litany For An Orange Tree; l'incroyable triple saut périlleux du trompettiste Jean-Paul Estiévenart sur Metropolitan Adventure; le solo de basse de Félix Zurstrassen sur Urbex, le piano évanescent de Bram De Looze sur Moon's Melancholia; sans oublier bien sûr la déferlante de rythmes complexes sur l'emballant Who Planted This Tree comme la signature obligatoire d'un batteur de haut-vol. Et puis, il y a ces deux longues et vertigineuses compositions que sont Urbex et Ode To My Moon. La première, mystérieuse et troublante comme une déambulation au milieu de ruines urbaines, atteint des sommets dans l'expressivité. La seconde, qui s'étend comme l'ombre de la lune à laquelle elle se réfère, est littéralement habitée par les trois souffleurs et s'avère un parcours initiatique pour les auditeurs désireux de s'immerger dans la beauté des musiques improvisées. D'ailleurs, tous ceux qui aiment le jazz aimeront cet album sophistiqué et généreux (quand même près de 70 minutes de musique) qui, grâce à une approche fraîche cultivant l'art du rebond, captive tout du long et séduit durablement.
[ Urbex (CD Digipack / Digital) ] [ Antoine Pierre Urbex sur le label Igloo ] [ Cover Art & Infos] [ A écouter : Metropolitan Adventure - Who Planted This Tree? - Antoine Pierre Urbex live au Brosella, Bruxelles, 12/07/2015 ] |
Stéphane Galland : (the mystery of) Kem (Outhere Music/Outnote Records), 28 octobre 2018 |
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Stéphane Galland (dms), Sylvain Debaisieux (ts), Bram de Looze (p), Federico Socchi (b) + Invités : Ravi Kulur (fl), Ibrahim Maalouf (tp)
1. Lava (1:57) - 2. Opening (5:54) - 3. Black Sand (3:53) - 4. Symbiosis (5:04) - 5. Soils (3:16) - 6. Memetics (4:02) - 7. Archetype (6:12) - 8. Hitectonic (4:26) - 9. The Fuze (7:27) - 10. Maelström (5:52) - 11. Morphogenesis (5:59)
Dans l'ancienne Egypte, le mot kem signifiait la couleur noire. D'ailleurs, leur pays était parfois appelé Kemet en référence à la bande fertile de limon noir déposé chaque année par la crue du Nil. Il n'en faut guère plus pour donner une connotation symbolique à ce disque qui fait pousser de nouvelles fleurs musicales alimentées par les nombreuses expériences auxquelles Stéphane Galland a participé.
Évidemment, la première qualité qui saute aux oreilles est le travail rythmique exceptionnel du batteur (voir notamment la vidéo du titre Soils dans laquelle il explique une partie de son travail) mais c'est sans doute parce qu'on est conditionné par sa réputation acquise au fil de deux décennies derrière les fûts d'Aka Moon avec qui il a donné tant de concerts pyrotechniques et allumé tant d'incendies. Car cet album qui s'avère bien plus qu'une orgie rythmique ne fait l'impasse ni sur les mélodies ni sur les harmonies.
Il faut dire que Stéphane Galland s'est entouré pour l'occasion de partenaires belges qui, sans être (encore) de grandes vedettes, n'en sont pas moins exceptionnels. Au piano, le jeune Bram de Looze, dont on vient d'apprécier son propre disque Switch The Stream, fait part d'une grande expressivité, son jeu poussé dans le dos par la section rythmique devenant à l'occasion d'une folle arborescence (Symbiosis, Maelstrom). Repéré dans Heptatomic de Eve Beuvens, le saxophoniste ténor Sylvain Debaisieux s'impose comme un improvisateur inspiré, nullement dérangé par le foisonnement de styles et de pulsations. Mais le batteur a aussi invité le flûtiste indien Ravichandra Kulu, ancien compagnon de route du regretté Ravi Shankar, qui emmène la musique vers l'Orient, dans des régions que Stéphane Galland connaît bien pour les avoir visitées autrefois en compagnie de Fabrizio Cassol et de musiciens indiens (sur Akasha entre autres). Et sur un titre (Memetics), il a convié à la fête son actuel patron, le trompettiste Ibrahim Maalouf qui tout en jouant dans un contexte différent de ce qu'il fait d'habitude, met quand même tout le monde dans sa poche.
(The Mystery of) Kem est un disque ouvert, mystérieux, envoûtant et qui rayonne d'énergie. Après son projet Lobi avec Magic Malik et Tigran Hamasyan qui date déjà de 2012, ce n'est que le second album du batteur maintenant âgé de 50 ans à paraître sous son nom mais, franchement, au vu de ses qualités, on espère qu'il y en aura beaucoup d'autres.
[ Stéphane Galland and (the mystery of) Kem (CD / Digital) ] [ A écouter : Soils - The Fuze (Live @ Théâtre Marni, Septembre 2017) ] |
Lionel Beuvens : 9 Steps to Heaven (IGLOO Records), 25 novembre 2022 |
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Kalevi Louhivuori (tp) ; Alexi Tuomarila (piano) ; Brice Soniano (contrebasse) ; Lionel Beuvens (batterie) ; Frank Vaganée (sax alto : 4, 7) ; Ewout Pierreux (Fender Rhodes : 3, 8)
1. Intro - 2. 49 Steps to Heaven - 3. Cité Soleil - 4. For Threes - 5. What's Even - 6. Constellation - 7. Oisin - 8. Valse à Cinq Temps
Batteur d'exception, Lionel Beuvens a collaboré à une quarantaine de disques aux côtés de musiciens comme Fabrice Alleman, Giuseppe Millaci, Eve Beuvens ou Steven Delannoye. Mais il a aussi enregistré deux disques sous son nom, Trinité (2013) et Earthsong (2017), qui proposent un jazz moderne mettant en exergue la richesse des compositions du leader ainsi que les qualités des complices qu'il s'est choisis pour les interpréter. Et ce sont encore les mêmes qui jouent aujourd'hui sur son troisième album : Alexi Tuomarila (piano), Kalevi Louhivuori (trompette) et Brice Soniano (contrebasse), ce qui crée forcément une continuité évolutive dans l'œuvre de Lionel qui avait initialement créé ce projet en 2011 pour le Gaume Jazz Festival.
Cette fois encore, le répertoire, entièrement composé par le batteur, est aussi contemporain qu'il est contrasté. Les diverses inspirations apparaissent subtilement au fil des plages. Ainsi, si l'Intro sonne comme une musique chambriste avec sa contrebasse jouée à l'archet, le titre éponyme qui lui succède rentre dans le vif du sujet : un jazz atmosphérique d'une beauté à couper le souffle, éclairé de l'intérieur par la trompette suave du finlandais Kalevi Louhivuori. Avec le troisième morceau, Cité Soleil, la digue craque sous le flot tumultueux d'un Fender Rhodes chauffé à blanc par Ewout Pierreux en invité, lui-même relayé par une trompette dont l'agilité et la précision convoquent le fantôme d'un certain Miles Davis. C'est ensuite le saxophoniste alto Frank Vaganée qui intervient sur un For Three's plus sinueux, délivrant un solo rigoureux aux couleurs moirées que l'on suit avec délectation. Après les tambours tribaux africains du court What's Even, viendront encore trois morceaux d'approche différente dont une envoûtante Valse à Cinq Temps qui, pétrie dans la sonorité du Rhodes, renvoie une fois encore à la fusion électro-acoustique créative telle que la concevait Miles à la fin des années 60.
Le quartet de Lionel Beuvens concentre tout ce qu'on apprécie dans le jazz actuel : sa musique protéiforme est aussi exigeante que séduisante, aussi imprévisible que méticuleuse, et aussi belle que puissante. En ces temps aculturés, si on vous demande un jour : le jazz, c'est quoi ? Répondez : c'est la première des 50 Marches Vers Le Ciel. Les 49 autres sont à découvrir en écoutant cet album.
[ 49 Steps to Heaven (CD / Digital) ]
[ A écouter : Lionel Beuvens : 49 Steps to Heaven (Album Trailer) - Lionel Beuvens 4tet ] |
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