Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série VI - Volume 9 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 10 ]


Ciccada : Harvest Ciccada : Harvest (Bad Elephant Music), Grèce, 23 avril 2021

1. Eniania (Keepers of the Midnight Harvest) (7:25) - 2. Open Wings (5:28) - 3. The Old Man and the Butterfly (7:52) - 4. No Man's Land (8:40) - 5. Who's to Decide? (4:40) - 6. Queen of Wishes (12:39)

Dimi Spela (chant); Evangelia Kozoni (chant); Aggelos Malisovas (basse frettée et fretless); Yiannis Iliakis (batterie, percussions, chœurs); Yorgos Mouchos (compositions et arrangements, guitares 6 et 12 cordes acoustiques, guitare électrique, chant); Nicolas Nikolopoulos (compositions et arrangements, flûte, flûte à bec, saxophones ténor et baryton, clarinette, piano, piano électrique, orgue, mellotron, synthétiseur, clavecin, clavinet, glockenspiel, chœurs); Marietta Tsakmakli (saxophones alto, baryton, soprano, chœurs)

Harvest (CD)Guitare acoustique, flûte, chant polyphonique modal (Eniania répété) mélangeant voix féminines et masculines, mélodie ciselée et légère, avec une influence nettement médiévale, Ciccada vous accueille dans son nouvel album intitulé Harvest. Cette chanson : Eniania (région de la Grèce antique) (Keepers Of The Midnight Harvest) se développe ensuite en accélérant dans un léger délire folk-jazz des plus optimistes. Les voix féminines restent à l'honneur, avec une prépondérance des flûtes et saxophones, dans le très pastoral Open Wings. L'entrée dans le rock progressif se fait à partir de The Old Man And The Butterfly au cours duquel les instruments s'expriment presque à tour de rôle, laissant un bel espace pour le chant masculin dominant et clarifiant le propos pour rendre la pièce aisément et confortablement écoutable. Des réminiscences du prog des années 70 teintent la chanson de couleurs chaudes à notre cœur. Par certains aspects, ce morceau peut faire penser aux sonorités psychédéliques des groupes célèbres de la West Coast des Etats-Unis dans les années 60-70.

Introduction à la guitare électrique suivie de l'orchestre au complet avant le chant féminin éthéré et c'est No Man's Land qui s'offre à nos oreilles conquises. Les variations de rythme, avec une mention spéciale pour le travail sur les toms de Yiannis, et de texture nous captivent lors de digressions instrumentales inventives et fondues de manière onctueuse.

Le jazz marque sa présence avec une rythmique atypique, des instruments à vents délurés, et un chant décalé, c'est Who's To Decide. La pièce « dérape » en dernière partie et en déconcertera plus d'un. C'est osé et intrépide, même pour Ciccada. La guitare intervient dans la dernière minute pour broder un solo plus traditionnel et faire rentrer le reste du groupe dans le rang. La formation revient à ce qu'il fait de mieux pour la dernière chanson. Avec ses 13 minutes Queen Of Wishes débute sur une ouverture des vents (sax et bois) rejoints par l'orchestration complète et une guitare acoustique bien nette. Le chant choral est plus épique. Il est suivi d'une autre ambiance menée par l'orgue avant de reprendre un peu plus haut et de laisser la place à une nouvelle charge orchestrale claviers en tête. L'apaisement qui suit est emmené par la guitare acoustique et donne lieu à une succession de motifs différents. Le retour du chant choral fait place à une séquence instrumentale totalement débridée, un peu folle, avec un emballement général. Retour au calme avec une ultime séquence chantée, apaisante, et à nouveau une ambiance pastorale pour clôturer.

Il se passe 5 ans entre les sorties discographiques de Ciccada. Le titre Harvest pourrait être compris comme étant la récolte du matériel accumulé au cours de ces années de studio. L'illustration du disque, une peinture de l'artiste argentin Pablo Solari, est en totale adéquation avec cette idée. L'art de ce groupe réside dans l'agencement d'idées musicales personnelles et identifiables avec une résurgence des musiques est-européennes, de folk, de jazz, d'art rock plus un zeste hérité de l'école de Canterbury. C'est d'une grande finesse et plein de distinction. Le niveau de qualité très élevé fait sortir Ciccada du peloton formé par un très grand nombre de formations de rock progressif. Ce savant mélange d'ancien et de moderne, d'acoustique et d'amplifié, de voix féminines et masculines, de mélodies travaillées et séduisantes, voire irrésistibles, est la marque de fabrique de ce collectif décidément hors du commun.

[ Chronique d'Alain Bourguignon ]

[ Harvest (CD / Digital) ]
[ A écouter : Eniania (Keepers of the Midnight Harvest) - The Old Man and the Butterfly - Queen of Wishes ]



Unwise: HumaNation Unwise: HumaNation (Moonhouse Music), Italie, 21 janvier 2021

1. Mindwalk (2:18) - 2. Unexpected (4:42) - 3. Rave Nu World (2:55) - 4. Behind Closed Doors (4:30) - 5. The Dirtier Job (6:32) - 6. iGod (2:58) - 7. Twilight of Morning (The Sun Also Rises Pt. 1) (2:02) - 8. The Mirror (The Sun Also Rises Pt. 2) (2:48) - 9. Hidden (5:15) - 10. Nothing Important Happened Today (3:28) - 11. After the Fire (2:53) - 12. Escape (3:37) - 13. Silent Hands (3:43) - 14. Never Again (1:58) - 15. Ripple Effect (8:33)

Luca Zontini (chant); Alessandro Codazzi (guitares); Mauro Colombo (basse); Roberto Pintus (batterie) + Danilo Di Lorenzo (claviers); Mary Lowndes (chant : 15, voix); Susanna Brigatti (chant : 15), voix)

Les quatre de Milan (associés en 2006) avaient réalisé un premier CD, One (quel à-propos !), en 2013. Il y était question de l'évolution de la conscience humaine face aux tentations et aux pièges du monde moderne. Des textes soignés, chantés avec une conviction rare, et une musique plutôt rock métal mais nuancée, mesurée, en adéquation avec le propos. Une réussite, déjà ! Ils se sont retrouvés en 2018 pour travailler sur l'objet dont il est question aujourd'hui (il s'agit bien d'un objet : un digipack vertical de 14x19 cm contenant un livret de 64 pages d'une belle finition incluant les textes des chansons illustrés avec goût) : HumaNation qui propose 15 sections pour 60 minutes d'un rock progressif bien teinté métal mais, surtout, mélodique et aéré. Une particularité qu'Unwise exploite avec grand talent.

Les guitares au son bien épais sont appuyées par des claviers efficaces mais un peu en retrait. Ajoutons quelques échantillonnages, une batterie martelée avec conviction et une basse solide et bien en phase: voilà une section rythmique sur laquelle on peut compter pour déposer un chant clair, bien articulé et d'une belle justesse, passionné par les textes qu'il incarne. Ces textes s'inscrivent dans un concept où chaque pièce apporte sa contribution à une description de la décadence de notre société (aliénation, négation de l'individu, épuisement au travail, enfants abandonnés par des parents dépassés, guerre en Syrie, etc). D'accord, ce n'est pas d'une extraordinaire nouveauté et ce n'est pas pour remonter le moral. Il n'empêche que les sujets sont brûlants, angoissants, traités avec discernement et sensibilité.

La liaison, souvent présente, entre les titres (bruitage, effets sonores, extraits de discours…) évite le côté collection de chansons. De plus, le fond étant un peu sombre et parfois angoissant - comment faire autrement ? –, ces transitions bien pensées raccordent les différents morceaux avec onctuosité. Il n'y a pas de silence et l'écoute se déroule sans aspérité gênante avec une logique musicale intelligente. Un vrai album qui ne peut être appréhendé que dans son intégralité.

La première partie, si tant est qu'il puisse y en avoir une, regroupe les compositions les plus aliénantes, les plus vigoureuses comme Unexpected, Rave Nu World, The Dierter Job ou iGod. Ensuite, The Mirror est la plus groovy tandis que Ripple Effect, qui clôture le disque, est enjolivé par deux voix féminines qui se joignent à Luca.

Particulièrement nuancée, la musique est protéiforme, changeante, complexe et passe du sombre à la lumière, du lourd au léger, de la gravité à l'espoir, sans heurt, de manière naturelle. Les arpèges de guitares affinent un ensemble qui, pour être parfois lourd, évite la surenchère sonore et les démonstrations techniques stériles. Je trouve cet album captivant et particulièrement élaboré. Cette excellente production met en valeur les qualités des artistes qui s'expriment avec clarté et laissent leur personnalité servir ces 58 minutes de métal progressif racé.

[ Chronique d'Alain Bourguignon ]

[ HumaNation (CD / Digital) ]
[ A écouter sur Spotify : HumaNation ]



The Catch : Excuses For The Kings The Catch : Excuses For The Kings (Digital) UK, 29 janvier 2021

1. Daedalus And The Angel (3:14) – 2. Circus (3:19) - 3. Riches To Rags (6:03) - 4. Real Love In The Modern World (2:54) - 5. What In The World (3:59) - 6. Leviathan (7:49) - 7. Find Another Way (5:10) - 8. Excuses For Kings (8:05) - 9. Last One To Leave (1:59)

Robert Williams (chant, basse, guitares, synthés, batterie programmable, compositeur, producteur); Donovan Baines (guitares); Andy Smith (voix); Verity Smith (voix)

De leur propre aveu, ils veulent rendre hommage aux groupes prog des années 80 tout en gardant l'étiquette et l'intensité des années 70 et présentent leur album Excuses For The Kings comme évoquant les problèmes de foi, de religion et de laïcité, en contemplant, tels des Rois, "le soleil se coucher sur nos fragiles empires". Cette toute nouvelle formation se nomme The Catch et ceci est leur première sortie. Le titre du disque fait référence à une citation de Sam Harris (USA, 1967, essayiste, philosophe, spécialisé en neuroscience et, dans ses écrits, dans la critique des religions en prônant le libre arbitre) affirmant que "nous devons abandonner la religion basée sur la foi ou souffrir encore 2000 ans d'excuses pour les Rois". Mais, pouvons-nous abandonner nos propres constructions mentales ? La vérité a-t-elle une voix ? Les morceaux explorent donc les questions que nous nous posons à propos de nos vies, leur richesse, signification, folie. Il semblait donc adapté, pour les compositeurs, d'opter pour un son typé années 80, époque de leur jeunesse.

Le mythe d'Icare illustre la pièce d'entrée. La seconde parle de l'utilisation - par les modérés - des extrémistes pour atteindre leurs buts politiques. Circus est un bon titre pour évoquer ce périlleux exercice d'équilibre sur corde raide. En parlant de la mort puis de la renaissance du Roi, c'est en réalité de l'Ego dont il est question. La ballade Real Love In The Modern World est limpide. Leviathan, métaphore de la muse, pose la question de l'écriture de chansons. « Ne priez pas pour une vie facile, priez pour avoir la force d'endurer une vie difficile » (Bruce Lee) : voilà une idée de départ originale pour Find Another Way. Deux amis immortels, rois des temps modernes, dans un empire divisé sont au menu de Excuses For Kings. Le Roi se retire, désabusé. Chant et guitare acoustique terminent la dernière courte plage.

Ces textes intéressants sont mis en musique par Robert Williams qui compose à la guitare ou au piano puis écrit ou complète les paroles avant de programmer la batterie et d'ajouter les parties de synthés, de basse et de guitare. Le chant vient ensuite. Donovan intervient alors pour finaliser le tout et peaufiner les solos de guitare. Après quelques overdubs, les voix d'Andy et de Verity sont incluses. Musicalement, nous avons affaire à des compositions directes, bien rock, avec effectivement un son clinquant comme une production des 80's. Une batterie sèche, une basse un peu en retrait, des claviers rutilants et des guitares claires caractérisent ce disque. Le chant, parfois retouché électroniquement, peut être accompagné par des voix additionnelles. Celle, jeune, du leader et les rythmes parfois capricants apportent beaucoup de fraîcheur. Les mélodies, accessibles et accrocheuses, mais sans simplisme, entrent rapidement en mémoire. Certains passages apaisés et romantiques alternent avec des envolées orchestrales pleines d'emphase ou des morceaux plus planants. A noter : un bien joli solo de guitare dans Riches To Rag.

L'adéquation entre les paroles (disponibles à côté de chaque titre sur le site du groupe) et les ambiances est à chaque fois impeccable. L'alternance de plages plutôt courtes (pour du rock classé progressif) et d'autres plus longues est de nature à conserver l'attention. Voici un disque original qui se démarque du néo-prog actuel ou des productions vintage par un choix original en terme de production.

[ Chronique d'Alain Bourguignon ]

[ The Catch : Excuses For The Kings (Digital) ]
[ A écouter : Find Another Way ]




Zoologica Duodecim #1 - OceanZoologica Duodecim #2 - Pack IceZoologica Duodecim #3 - Pond

Xavier Boscher : Zoologica Duodecim #1 - Ocean (Orfeo'Lab), France, 2018

1. Whale (3:25) - 2. Seahorse (4:32) - 3. Shark (3:56) - 4. Octopus (2:25) - 5. Dolphin (5:02)

Xavier Boscher (tous les instruments, composition, production)


Après son remarquable album Embryogenesis sorti en 2017, le multi-instrumentiste Xavier Boscher propose un nouveau concept plutôt original consistant en la réalisation de douze mini-albums consacrés chacun à des animaux dans un de leurs milieux naturels. Les cinq titres du premier EP, qui se réfère à l'océan, portent ainsi les noms de Baleine, Hippocampe, Requin, Poulpe et Dauphin : autant de créatures marines aux caractéristiques bien distinctes que la musique tente d'évoquer.

Si globalement, les synthés installent des atmosphères qui font référence à des scènes aquatiques, les mélodies et les improvisations jouées avec brio à la guitare électrique se rapportent davantage aux particularités animales. Ainsi le thème de la baleine est-il à la fois ample et puissant tandis que celui lié au requin est plus menaçant et imprévisible en conformité avec ce que l'on sait du comportement de ces prédateurs océaniques et en particulier leur nage en zig-zag. La dernière plage consacrée au dauphin est particulièrement réussie en ce que la guitare volubile évoque l'aspect mobile et enjoué de ces cétacés mais aussi les sifflements mystérieux qu'ils produisent pour communiquer.

Xavier Boscher : Zoologica Duodecim #2 - Pack Ice (Orfeo'Lab), France, 2019

1. Seal (4:35) - 2. Polar Fox (4:52) - 3. Reindeer (3:45) - 4. Polar Bear (4:08) - 5. Elephant Seal (3:10)

Xavier Boscher (tous les instruments, composition, production)


Le second volet comprend cinq nouveaux morceaux dont les titres indiquent un déplacement dans les zones polaires de la planète où l'on rencontre des phoques, des renards arctiques, des rennes, des ours blancs et des éléphants de mer. C'est donc à ces animaux du froid que ces compositions sont dédiées. Pour autant, la musique n'évoque pas particulièrement des terres glacées (comme c'est le cas par exemple pour certaines productions ECM). Au contraire, les harmonies et les mélodies sont plaisantes et même parfois guillerettes, l'une des plus belles étant celle de Reindeer qui installe une atmosphère agréable et paisible. Le thème de l'ours polaire est également splendide, se concentrant peut-être à décrire la marche chaloupée de ce grand carnivore charismatique. Quoi qu'il en soit, ce mini-album entièrement instrumental est fort agréable à écouter en partie parce que leur auteur a eu la sagesse de varier les tempos et les styles d'un titre à l'autre.

Xavier Boscher : Zoologica Duodecim #3 - Pond (Orfeo'Lab), France, 2020

1. (Guitar) Heron (4:33) - 2. Swan (4:45) - 3. Dragonfly (3:12) - 4. Frog (4:09) - 5. Carp (3:39)

Xavier Boscher (tous les instruments, composition, production)


Poursuivant ce qui deviendra une imposante dodécalogie, le compositeur et guitariste Xavier Boscher a cette fois planté sa tente au bord d'un étang où il a eu le loisir d'observer la faune composée de hérons, de cygnes, de libellules, de grenouilles et autres carpes. Et c'est reparti pour cinq nouveaux instrumentaux qui complètent un safari musical des plus variés. On ne pourra s'empêcher cette fois encore de faire des rapprochements, même vagues, entre les différentes compositions et les animaux auxquels elles se rapportent et trouver par exemple que la mélodie de Swan a la majesté d'un cygne blanc ou que celle de Dragonfly rappelle le vol hasardeux des odonates. L'essentiel est toutefois que le répertoire, qui va de la fusion métal au post-rock minimaliste, soit une fois de plus varié et agréable à écouter.

[ Zoologica Duodecim #1 - Ocean sur Bandcamp ] [ Zoologica Duodecim #2 - Pack Ice sur Bandcamp ] [ Zoologica Duodecim #3 - Pond sur Bandcamp ]
[ A écouter : Whale - Seal - (Guitar) Heron ]



In Camera Peter Hammill : In Camera (Charisma), UK 1974

1. Ferret and the Featherbird (3:43) - 2. (No More) the Sub-mariner (5:47) - 3. Tapeworm (4:20) - 4. Again (3:44) - 5. Faint-Heart and the Sermon (6:42) - 6. The Comet, the Course, the Tail (6:00) - 7. Gog (7:40) - 8. Magog (In Bromine Chambers) (9:41)

Peter Hammill (chant, guitares, basse, synthé ARP 2600, mellotron, piano, harmonium) + David Hentschel (synthé ARP), Chris Judge Smith (percussions); Guy Evans (drums); Paul Whithead (drums, percussions, violoncelle)

Il y a de ces musiciens que nous avons adorés à un moment ou à un autre de notre vie, ou pour qui nous vouons une passion définitive, ou encore qui nous ont influencé, modifiant définitivement notre façon d'aborder la musique. Me concernant, Peter Hammill occupe une place à part. Il n'est sans doute pas le seul (Peter Gabriel et David Bowie ont également changé en quelque sorte ma vie) mais le temps passant, je dois bien avouer que Peter Hammill m'a peut-être plus marqué durablement. Et si l'album The Silent Corner And The Empty Stage est souvent cité comme le meilleur album solo du chanteur de Van de Graaf Generator, In Camera reste pour moi son chef d'œuvre absolu. L'affirmation est peut-être exagérée. Mais à chaque écoute, ce sont ces mots qui me viennent à l'esprit. Chaque titre contient en soi ce quelque chose qui transforme son écoute en une expérience unique et il y a sans doute une raison à cela. Ce serait peut-être l'absence de concession.

Il y a du John Coltrane dans la musique de Peter Hammill. Certes la comparaison est osée, mais ce qui m'autorise à cette audace est qu'au-delà de la musique, il y a le fait que l'artiste met en jeu plus que son talent et ses qualités intrinsèques. Il met à nu, sans aucune retenue, ses démons, ses angoisses, ses propres obsessions, qu'elles soient mystiques, religieuses ou existentielles. Peu importe ! On ne peut sortir indemne de l'écoute d'un album tel que In Camera. Il n'y a qu'à écouter le suite Gog - Magog pour s'en convaincre. Que ce soit dans les parties chantées ou instrumentales, on y entrevoit les contours d'une âme torturée. Il faut à la fois du cran et du talent pour se livrer à un tel exercice. Et en cela, Peter Hammill est à mon sens un artiste « total. » S'aventurer avec lui dans les Bromine Chambers de Magog n'est pas nécessairement une partie de plaisir mais plutôt une plongée dans un univers où domine la peur, l'angoisse comme s'il n'y avait ni début ni fin. Magog fait quelque peu penser au titre The Waiting Room de Genesis sur l'album The lamb Lies Down In Broadway. Mais la suite Gog - Magog, au contraire, n'offre pas d'autres issues que de sombrer plus en profondeur dans les tréfonds d'un gouffre où nous n'aurons pas d'autre choix que de faire face à ce que nous sommes réellement.

Some call me SATAN others have me GOD Some name me NEMO...I am unborn Some speak of me in anagrams Some grieve upon my wrath... The ones who give me service I grant my scorn My words are 'Too late', 'Never', 'Impossible', and 'Gone'; My home is in the sunset and the dawn My Name is locked in silence Sometimes it's whispered out of spite All gates are lock

Il n'y a que l'écoute de Astronome de John Zorn qui m'a procuré une telle sensation d'épouvante. Certes In Camera s'ouvre sur d'autres horizons moins angoissants. Mais chaque titre crée en soi une atmosphère où se déclinent les interrogations et les doutes d'un artiste qui ne craint pas de se confronter à lui-même. C'est à la fois puissant et d'une beauté qui attriste, ou interpelle, et souvent inquiète et fascine. Il y a ce chant qui, comme un cri brisant le mur du silence, soutient des mélodies aux intonations d'une richesse peu commune qu'accentuent des orchestrations d'une originalité et d'une complexité qui étonnent autant qu'elles vous surprennent. C'est déconcertant et envoûtant !

Ce que j'ai retenu de l'écoute de In Camera est qu'il faut pouvoir oser sortir de sa zone de confort et ne pas craindre d'affronter des horizons musicaux qui peuvent apparaître à priori abrupts et ardus mais qui, que vous le vouliez ou non, réveillent en vous une part de vous-mêmes que vous ignoriez. Finalement, tout n'est qu'une question d'émotion.

[ Chronique d'Albert Drion ]

[ In Camera (CD / Vinyle / Digital) ]
[ A écouter : Gog - Magog (In Bromine Chambers) ]



Excavations Of The Mind Sky Architect : Excavations Of The Mind (Galileo), Pays-Bas, 2010 (CD Remastérisé 10 year anniversary Re-release, FREIA Music, 2020)

1. Deep Chasm Part I: Charter (3:38) - 2. Deep Chasm Part II: Chime (8:04) - 3. Deep Chasm Part III: Changeling (0:43) - 4. Deep Chasm Part IV: Chasm (6:45) - 5. The Grey Legend (12:11) - 6. Russian Wisdom (5:05) - 7. Excavation Of The Mind (11:46) - 8. Gyrocopter (2:58)

Tom Luchies (chant, guitare); Wabe Wieringa (guitare); Rik van Honk (piano, synthé, claviers); Guus van Mierlo (basse); Chistiaan Bruin (drums)

Le groupe néerlandais Sky Architect avait fait une bonne impression avec son premier album, Excavations Of The Mind, sorti en 2010. Enregistrée en 2008 par cinq jeunes musiciens encore totalement inconnus, la musique surprenait par son approche fraîche ne cherchant pas à se rattacher à un courant particulier, touchant même à divers styles, parfois heavy et électrique, et parfois calme et acoustique. Si les parties chantées offrent de la marge à une amélioration, les passages instrumentaux sont en revanche riches et excitants, les claviers vintages évoquant les années 70 se combinant à merveille avec des envolées de guitare qui arrachent. Si une influence se détache plus que d'autres, je dirais que c'est celle de King Crimson : les compositions sont en effet complexes mais bien agencées, ne révélant leurs secrets qu'après plusieurs écoutes attentives. On pense parfois aussi à Beardfish également connu pour ses compositions alambiquées et imprévisibles louchant parfois sur le heavy rock. Edité sur le label Galileo et emballé dans une pochette dessinée par rien moins que la star Mark Wilkinson (Marillion), Excavations Of The Mind, dans sa première édition, ne souffrait à mon avis que d'un grave défaut : sa production un peu "sale" qui pénalisait l'écoute du disque sur une bonne chaîne Hi-Fi.

Ce problème est aujourd'hui résolu puisque le disque a été remixé par le guitariste Wabe Wieringa et remastérisé par le batteur Christiaan Bruin avec, il faut le dire, une nette amélioration de ses qualités sonores. En plus, le répertoire a été étendu par l'addition de trois morceaux inédits : une version live de The Grey Legend enregistrée live au Crossland Festival, une prise de Russian Wisdom joué en acoustique, et une version démo de Gyrocopter. C'est juste dommage qu'une version live de la suite épique Deep Chasm n'ait pas été retenue car ce titre est en soi un tour de force que j'aurais bien aimé entendre jouer en concert.

Bref, si vous aviez zappé ce disque en 2010, cette réédition qui fête le 10ème anniversaire de sa sortie vous invite à un petit retour en arrière qui, ma foi, vaut bien la peine d'être fait.

[ Excavations Of The Mind (10th Anniversary Edition) (CD / Digital) ]
[ A écouter : Excavations Of The Mind ]



Cerc Artus : Cerc (Pagans / Inouïe Distribution), France, 2020

1. Nigredo (10:58) - 2. Lépineux (9:11) - 3. Halha - (7:09) - 4. Faust - (11:22) - 5. Albedo (8:22) - 6. Las Mairs Apo (11:05)

Mateu Baudoin (chant, violon); Romain Baudoin (vielle à roue) - Thomas Baudoin (chant, tambourin à cordes, synthé, percussions); Romain Colautti (basse, chant); Nicolas Godin (guitare, percussions, chant); Alexis Toussaint (drums)

Après l'album Ors (soit Ours en occitan), voici Cerc (le cercle), un disque dédié non plus à un animal mais à un complexe spéléologique qui est en soi une sorte de monstre géologique : le massif calcaire de la Pierre Saint Martin dans les Pyrénées-Atlantiques et son réseau de grottes incluant l'immense gouffre dit Lépineux. Etrange idée certes mais porteuse de différents concepts : les grottes ont toujours fasciné les hommes par leurs beautés et leurs mystères. Ils y ont d'ailleurs trouvé refuge à l'aube des temps quand ils ne les ont pas décorées par leurs premiers essais artistiques.

En six mouvements, Artus va nous emmener en voyage dans les profondeurs obscures, à travers goulots, boyaux et salles immenses. Mais on ne plonge pas dans les entrailles de la terre sans perdre une once de son humanité. Alors forcément, la musique a quelque chose de tribal, de primitif qu'il est difficile de définir. Sur Nigredo, on pense parfois à Magma (pour les arrangements de voix) mais aussi à un opéra steampunk, ce qui incidemment n'est pas incompatible. C'est étrange et beau à la fois. Lépineux, c'est le fameux puits entré dans la légende grâce aux récits d'Haroun Tazieff et à la mort en 1952 du spéléologue Marcel Loubens que la musique, en finale, accompagne dans sa longue et horrible chute.

L'expérience se poursuit avec Alha dont la musique intense sculptée au hachoir renvoie à nouveau à Magma et à ses transes. Ce qui est en haut est pareil à ce qui est en bas et l'intérieur trouve son écho à l'extérieur (et inversement). Si Albedo marque l'arrivée dans l'immense salle de La Verna, Las Mairs Apo qui clôture le disque nous laisse perdu tout au fond, dans l'obscurité totale. Sont-ce des gouttes d'eau qui tombent de la voûte et les grincements des treuils que l'on actionne que l'on entend ? La musique suggestive invite l'auditeur à se forger sa propre histoire. Vous avez le choix entre deux options : remonter à la surface ou continuer l'exploration à vos risques et périls car ce qui vous attend tout au fond, loin sous la surface, dépasse probablement vos pires cauchemars. Encore une fois, Cerc est un disque de musique avant-gardiste (RIO) autant à vivre qu'à écouter. Sur scène, dans la pénombre avec des jeux de lumières et des images appropriées, ça doit vraiment le faire !

[ Cerc sur Bandcamp ] [ Chronique de l'album Ors ]
[ A écouter : Halha ]



On We Sail The Samurai Of Prog : On We Sail (Seacrest Oy), Finlande, 27 avril 2017

1. On We Sail (6:21) - 2. Elements of Life (7:54) - 3. Theodora (5:55) - 4. Ascension (5:19) - 5. Ghost Written (9:40) - 6. The Perfect Black (9:30) - 7. Growing Up (5:42) - 8. Over Again (4:06) - 9. Tigers (10:34)

Steve Unruh (chant, violon, flûte, guitare classique (6), Marco Bernard (basse Rickenbacker); Kimmo Pörsti (drums, percussions) + Invités.

On We SailThe Samurai of Prog est un collectif créé autour du bassiste italien basé en Finlande Marco Bernard. D'abord impliqué dans des albums à thème pour le magazine Colossus, The Samurai of Prog, qui comprend désormais aussi le chanteur et multi-instrumentiste américain Steve Unruh ainsi que le batteur finlandais Kimmo Pörsti, a fini par produire depuis 2011 une série d'albums intéressants, dotés de pochettes attrayantes, et sur lesquels jouent une multitude de musiciens invités.

La musique de On We Sail s'inscrit dans un prog symphonique qui ressemble beaucoup à celui des Flower Kings. Comme leurs acolytes suédois, The Samurai of Prog compose et joue des pièces complexes mais mélodiques qui remplissent facilement des disques compacts d'une durée supérieure à 65 minutes. La présence de violon et de flûte à côté des nombreux claviéristes invités donne du caractère aux orchestrations que l'on appréciera encore mieux sur les morceaux instrumentaux (sur Ascension entre autres). Le chant qui est assuré par au-moins six personnes différentes est de qualité variable et il est bien difficile de reconnaître qui fait quoi. Parfois, comme chez les Flower Kings, le fil de la composition est difficile à suivre et l'on se perd un peu dans les pérégrinations musicales même si, dans l'ensemble, émergent de grands moments comme notamment les envolées croisées de guitare, synthés et violon sur le splendide Theodora qui n'est pas sans évoquer le groupe Renaissance, la diversité des timbres sur l'instrumental The Perfect Black et le chant émouvant sur l'épique Tigers qui clôture l'album.

On We Sail est un disque qui plaira à coup sûr aux fans des Flower Kings ainsi qu'à tous ceux qui apprécient ce genre de prog symphonique mélodique à la fois classique et moderne si prisé depuis les années 90 par les groupes scandinaves (TFK, Moon Safari, Roine Stolt, Wobbler, Karmakanic, Kaipa, Agents Of Mercy, HFMC, Magic Pie …) .

[ on We Sail (CD / Digital) ]
[ A écouter : On We Sail (excerpts) ]



Bestie, Uomini e Dèi Ubi Maior : Bestie, Uomini e Dèi (AMS-Records), Italie, 8 mai 2020

1. Nero Notte (6:12) - 2. Misteri Di Tessaglia (7:33) - 3. Wendigo (7:54) - 4. Nessie (8:50) - 5. Fabula Sirenis (5:22) - 6. Bestie, Uomini e Dèi (9:42)

Gabriele Manzini (claviers, flûte),), Alessandro di Caprio (batterie), Mario Moi (chant, violon, trompette), Gianmaria Giardino (basse), Marcella Arganese (guitares)

Bon, cette fois, on y est ! Ubi Maior sort (enfin) son 4ème album. Première écoute complète, premières impressions : c'est toujours aussi bon, toujours aussi inspiré. Mais il y a aussi que ce groupe se bonifie à l'approche de ses vingt années d'existence. Gabriele Manzini (claviers), Alessandro di Caprio (batterie) et Mario Moi (chant) sont des piliers solides, avec en ce qui concerne Mario un rôle de plus en plus important depuis qu'il a repris avec bonheur la pratique du violon et de la trompette. Ce qui lui permet d'être aussi présent sur l'instrumental Nessie. Les derniers arrivés, Gianmaria Giardino à la basse et Marcella Arganese à la guitare, sont désormais des membres indispensables, et j'ai déjà dit et écrit à plusieurs reprises que Marcella avait apporté énormément au groupe en terme de musicalité mais aussi d'efficacité. A cet égard, un morceau comme Bestie, Uomini e Dèi démontre le haut niveau de complémentarité atteint par Gabriele et Marcella, tant dans la création que dans l'exécution d'une composition ambitieuse.

L'album est très homogène, presque compact, avec ses six morceaux d'une durée allant de 5 à 10 minutes maximum. Le titre Nero notte est judicieusement placé en opener afin de rassurer les fans dès les premières secondes sur la grande forme du groupe après cinq années de silence. C'est bien le cas ! Et autant vous le dire tout de suite, ces 3/4 d'heure de musique vont passer très (trop) vite.

Mention spéciale pour Wendigo, dont votre serviteur a eu la chance de suivre la genèse, qui est une pièce d'une finesse remarquable et d'une efficacité à toute épreuve. J'avoue que le résultat final me laisse bouche bée. Quand je parle d'efficacité, il faut reconnaître qu'un morceau comme Nessie se pose là avec son riff d'intro dévastateur !

Incontestablement avec ce Bestie, Uomini e Dèi, Ubi Maior est au sommet de son art. Le groupe réussit l'exploit de se renouveler, tout en gardant son identité, sans jamais céder à la facilité, un morceau comme Fabula sirenis en est le meilleur exemple et le stratosphérique Misteri Di Tasseglia n'est pas loin de suivre le même chemin.

Car ce qui est bon avec Ubi Maior, c'est cette ambivalence permanente de sa musique, à la fois mélodique et énergique, à la fois symphonique et rythmée, l'apanage des grands groupes de prog italiens en quelque sorte !

[ Chronique de Louis de Ny ]

[ Bestie, Uomini e Dèi (CD / Digital) ]
[ A écouter : Nessie ]



Spirit Of Eden Talk Talk : Spirit Of Eden (Parlophone/EMI), UK 1988

1. The Rainbow (8:02) - 2. Eden (7:40) - 3. Desire (7:17) - 4. Inheritance (5:24) - 5. I Believe In You (6:16) - 6. Wealth (6:44)

Mark Hollis (chant, piano, orgue, guitare); Lee Harris (batterie); Paul Webb (basse) + Invités.

L'arbre et le monolithe.

Noir et blanc. Tout deux incompris au moment de leur arrivée. Analysés des années durant afin d'en révéler le sens, la portée. Établir un parallèle paraîtra déplacé. Moins si l'on s'interroge sur la grandeur humaine, la transcendance et notre désir de compréhension face à l'incertain.

1968, une forme noire apparaît. Le temps se fige. L'avant et l'après n'importent plus, vu que l'instant présent nous est inconnu. Cet objet anguleux, tout en majesté, d'une opacité intimidante, redéfinit par sa présence notre perception des choses. Les premières manifestations cultuelles se dessinant peu à peu, la sacralisation de l'objet dévient évidence, comme si l'existence en elle-même ne pouvait suffire. La forme devient média et tous les possibles deviennent plausibles.

1988, un musicien anglais renonce. Les possibles, peu lui importent. Les notes de musique aussi vaines que la recherche de gloire ou de postérité. Sa vérité se fera jour désormais à travers les silences. Ceux-ci seront un tout, un absolu. Le réceptacle de son génie créatif. L'interstice devient matière, et la quête de Mark Hollis, quelle qu'elle soit, trouve ici son accomplissement.

Sur l'avant-dernier titre I Believe In You, la messe est dite. Mark Hollis, en laissant entrevoir l'imperceptible, ouvre un passage. Un chemin vers un Eden personnel. A ce moment précis, oublier dieux et chimères. L'élévation spirituelle devient le fait de notre propre grandeur, plus de tutelle divine pour notre salut. Un "simple" humain vient de sublimer la notion de perfection. Nous nous suffisons désormais à nous mêmes.

20 ans auparavant, Stanley Kubrick redéfinissait la notion de croyance, au travers du monolithe noir, dans "2001, l'Odyssée de l'Espace". L'objet céleste symbolisait à lui seul la question existentielle et les questions qu'il souleva furent alors infinies. Sommes-nous la clef de notre propre rayonnement ? Devons-nous nous assujettir à des forces supérieures censées guider nos destinées ? Sommes-nous après tout notre propre Dieu intérieur ? Deux décennies plus tard, Spirit Of Eden lui apporta la plus belle des réponses.

[ Chronique d'Olivier Marin ]

[ Spirit Of Eden (CD / Vinyle / Digital) ]
[ A écouter : I Believe In You ]



Ark Hats Off Gentlemen It's Adequate : Nostalgia For Infinity (Glass Castle Recordings / Bandcamp), UK, 2020

1. Century Rain (9:17) - 2. Twin Earth (5:59) - 3. Ark (11:47) - 4. Nanobotoma (5:26) - 5. Chasing Neon (5:34) - 6. Glitterband (5:32) - 7. Conjoiners (4:31) - 8. Scorpio (1:19) - 9. Inhibitors (3:25) - 10. Nostalgia For Infinity (6:59) - 11. Voyager (5:50) - 12. Sixth Extinction (4:06)

Malcolm Galloway (chant, guitare, claviers, synthés); Mark Gatland (basse, guitare, claviers, synthés, Chapman Stick); Kathryn Thomas (flute : 1,2,9-11, chant : 10)

Sorti l'été dernier, l'EP Ark marquait une évolution pour Hats Off Gentlemen It's Adequate qui y affirmait plus de maturité associée à réelle identité. Le nouvel album, le cinquième de ce groupe britannique qui évolue au croisement de plusieurs genres, reprend les deux titres principaux de ce minidisque (Ark et Chasing Neon) qui sont complétés par 10 nouveaux titres confirmant la bonne impression déjà largement ressentie. Si l'on met à part l'épique Ark, une splendide composition instrumentale inspirée par l'histoire du HMS Ark Royal, un porte-avions de la Royal Navy qui participa à la Seconde Guerre mondiale et sur lequel était embarqué le grand-père paternel du compositeur, multi-instrumentiste et chanteur Malcolm Galloway, le thème général de Nostalgia For Infinity se rapporte à la fragilité de la civilisation observée selon différentes perspectives. On y notera également l'influence patente d'une science-fiction intelligente via un renvoi aux romans d'Alastair Reynolds.

Sur le plan musical, Hats Off Gentlemen ne s'enferme pas dans un genre particulier. Certaines compositions comme Century Rain, Nanobotoma et Voyager sont largement atmosphériques et même cinématographiques, inspirées du Pink Floyd époque More ou Obscured by Clouds. D'autres sont plus orientés vers la musique électronique avec une nette propension à faire tourner les synthés en boucles. Chasing Neon par exemple n'est pas sans évoquer certains titres de Tangerine Dream à l'époque où Edgar Froese avait décidé de combiner ses synthétiseurs avec une rythmique rock traditionnelle. Scorpio et Inhibitors sont plus angulaires et même plus avant-gardistes, le deuxième titre ayant été enregistré uniquement avec une flûte électroniquement trafiquée. Le disque se clôture sur Sixth Extinction, la chanson la plus agressive de l'album et la plus "rock classique" aussi.

Franchement éclectique et construit avec soin, Nostalgia For Infinity est à ce jour le meilleur album d'un Hats Off Gentlemen It's Adequate en nette progression musicale et, à ce titre, il convient de lui prêter toute l'attention qu'il mérite.

[ Nostalgia For Infinity sur Bandcamp ]
[ A écouter : Nostalgia For Infinity preview ]



Ark Hats Off Gentlemen It's Adequate : Ark (EP Indépendant / Bandcamp), UK, 14 août 2019

1. Ark (11:47) - 2. Chasing Neon (5:34) - 3. She Moved Through The Fair (7:48)

Malcolm Galloway (guitare, chant, claviers et synthés); Mark Gatland (basse, guitare); Kathryn Thomas (flûte)

Après Broken But Still Standing (2017) et Out Of Mind (2018), le groupe britannique Hats Off Gentlemen It's Adequate propose un EP de trois titres, d'une durée totale de 25 minutes, qui conserve l'approche éclectique des albums précédents. La pièce maîtresse y est cette fois l'épique Ark, une splendide composition instrumentale inspirée par l'histoire du HMS Ark Royal, un porte-avions de la Royal Navy qui participa à la Seconde Guerre mondiale, racontée en détail dans les notes de pochette. Le grand-père paternel du compositeur, multi-instrumentiste et chanteur britannique Malcolm Galloway, principal musicien de Hats Off, y était télégraphiste / mitrailleur au sein de la Fleet Air Arm embarquée. Aussi, la musique de ce morceau, qui lui est dédié, illustre les péripéties du navire depuis sa construction et son lancement en 1937, ses combats contre les U-Boot, sa participation à la chasse du cuirassé Bismark et enfin son naufrage après avoir été torpillé par un sous-marin allemand en novembre 1941. Alternant entre passages nostalgiques et d'autres plus énergiques et menaçants, Ark se révèle être une bande sonore agréable convenant parfaitement à la lecture de ce moment d'histoire.

Complètement différent de Ark, Chasing Neon est une composition également instrumentale délivrée dans une perspective rétro-futuriste. Elle évoque certains titres de Tangerine Dream à l'époque où Edgar Froese avait décidé de combiner ses synthétiseurs avec une rythmique rock traditionnelle (Force Majeure). Le troisième morceau est une version personnelle de la chanson folk irlandaise She Moved Through The Fair ici rendue dans un arrangement évanescent qui accentue le côté étrange de cette histoire de fantôme.

Ce minidisque marque une évolution pour Hats Off Gentlemen It's Adequate qui affirme ici plus de maturité ainsi qu'une réelle identité. Gageons que le prochain album longue durée sera celui de la révélation.

[ Ark sur Bandcamp ]
[ A écouter : Ark - Chasing Neon ]



Re-Visited Live ! Arena : Re-Visited Live! (Verglas Music), UK, 15 avril 2019

CD 1 : 1. Crack in the Ice - 2. Pins and Needles - 3. Double Vision - 4. Elea - 5. The Hanging Tree - 6. A State of Grace - 7. Blood Red Room - 8. In the Blink of an Eye - 9. (Don't Forget to) Breathe - 10. Serenity - 11. Tears in the Rain - 12. Enemy Without - 13. Running from Damascus - 14. The Visitor
CD 2 : 1. Poisoned - 2. Jericho - 3. Mirror Lies - 4. Tinder Box - 5. Solomon - 6. Ascension - 7. Crying For Help VII. Enregistré au Boerderij, Zoetermeer, Pays-Bas, pendant la tournée Re-Visited 2018.

Paul Manzi (chant); John Mitchell (guitare, chant); Clive Nolan (claviers, chant); Kylan Amos (basse); Mick Pointer (drums)

Afin de célébrer le 20e anniversaire de la sortie de leur plus célèbre album, The Visitor (1998), Arena avait organisé une tournée en 2018 dans laquelle l'œuvre fut rejouée intégralement à côté de quelques autres morceaux issus de leur répertoire. Ils viennent de sortir un coffret incluant 1 DVD/ 1 Blu-Ray et 2 CD reprenant le concert donné cette année-là au Boerderij, à Zoetermeer, plus un livret de 48 pages.

The Visitor est "revisité" dans une version assez conforme à l'original et c'est un plaisir de retrouver intactes les mélodies de ce formidable album dont la musique n'a pas pris une ride. Finalement, la plus grande différence provient du nouveau line-up. Le claviériste Clive Nolan, le batteur Mick Pointer et le guitariste John Mitchell, dont c'était la première apparition sur le disque de 1998, sont toujours là. Mais le bassiste John Jowitt a été remplacé par Kylan Amos et surtout, Paul Wrightson a laissé le micro à Paul Manzi, chanteur à la voix puissante qui donne parfois un autre ton, plus rock, à certains passages. Du coup The Visitor est en quelque sorte réactualisé dans le style plus hard adopté aujourd'hui par le groupe. Pour cette raison, cette nouvelle interprétation, qui ne remplace pas la version studio, est quand même intéressante à écouter, d'autant plus que John Mitchell, qui a aussi entre-temps développé son propre style, y joue avec beaucoup d'ardeur.

L'extrait vidéo ci-dessous qui reprend 3 titres de The Visitor (Elea / The Hanging Tree / The Visitor ) vous donnera une bonne idée de ce show qui fut aussi énergique que parfaitement maîtrisé. Le travail de Mitchell, qui double parfois Paul Manzi au chant tout en jouant de la six-cordes, y est en tout cas remarquable.

[ A écouter : Arena Live in Holland 2018 ]


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